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GegenStandpunkt

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L’article que vous trouvez ci-dessous est l’adaptation d’un texte initialement conçu pour la radio. Il a été rédigé peu après l’accident majeur de Fukushima. Nous le publions ici parce qu’il analyse de façon critique des opinions et des idées reçues que, bien que prises dans les débats politiques allemands post-Fukushima, le lecteur retrouvera facilement dans les débats actuels en France.

Ceux de nos lecteurs francophones qui s’intéressent à une étude approfondie des réflexions développées dans ce texte sont priés soit de nous contacter par mail soit de se contenter pour l’instant de nos articles publiés en anglais et en espagnol.

Le fonctionnement « normal » est le « Restrisiko »[ 1 ] (= risque résiduel) pour le courant issu du nucléaire

L’idée selon laquelle ce qui es sûr, c’est la sûreté de l’énergie nucléaire – idée proclamée encore récemment par les exploitants et les défenseurs de la filière nucléaire – a été révisée depuis le super-accident majeur de Fukushima. Le potentiel de danger, nommé jusqu‘ à présent « le risque résiduel » comme conséquence des omissions concernant les mesures de sécurité, est devenu maintenant un hasard résiduel; donc la possibilité d’un tremblement de terre de magnitude 9,5 par exemple que, du point de vue statistique, on ne peut pas exclure définitivement. Pour exclure aussi ce danger, le gouvernement allemand a ordonné un moratoire pour les réacteurs. Mais il ne veut pas fermer définitivement les centrales nationales [ 2 ], pas plus que la plupart des grands Etats dans le monde. Ce qui continue en tout cas après Fukushima, c‘est la soit-disante activité normale sans incidents.

Cette production d’énergie, selon Merkel et le lobby de l’électricité nucléaire, la „plus agréable pour l‘environnement“, repose sur une réaction en chaîne contrôlée provoquée par les neutrons dans les noyaux atomiques d‘uranium. Chaque processus de fission émet de nouveau des neutrons qui sont ralentis par un modérateur jusqu’à une vitesse leur permettant de se remettre à l’oeuvre dans d‘autres noyaux atomiques. L’énergie dégagée des noyaux atomiques produit la chaleur désirée. Les ingénieurs “n’ont plus qu’à maîtriser” les radiations radioactives. Celles-ci dégagent des produits de fission d‘uranium qui se distinguent par l‘instabilité de leurs noyaux atomiques. Ces isotopes émettent des radiations nocives provoquant une ionisation des cellules du corps.

Que la population qui habite autour du réacteur soit tenue à l’abri des rayons alpha, bêta, gamma par le mode de construction de la centrale, cela est une fausse idée. Le fonctionnement ordinaire d‘un réacteur est accompagné d’une intensification permanente de radiation des environs proches et lointains: la vapeur radioactive s’échappe par une cheminée dans l‘air, et les experts accomplissent toutes sortes de tours de force de calcul pour réduire la contamination à une dimension négligeable en la répartissant sur l’espace et le temps.

Avec l‘eau de refroidissement, qui est déversée dans les fleuves et les mers, c’est la même stratégie. Extrêmement adroits, ils font la preuve par comparaison avec la radio-exposition normale de la population – radio-exposition qu‘ils appellent « naturelle » – que le danger est assez minime. Que la radiation « naturelle » inoffensive et inévitable, augmentée pendant les décennies de tests de bombes atomiques d’abord et le fonctionnement des centrales nucléaires en suite, se fasse sentir dans les statistiques concernant le cancer n’inquiète pas ces froids calculateurs. « Rien n’est prouvé » selon les sources officielles. Il reste les déchets radioactifs. Ceux-ci irradient à „Asse“ et peut-être un jour ou l‘autre à „Gorleben“ (deux sites de stockage allemands). Que sur le site et pendant le transport, beaucoup de radiation soit dégagée, cela personne ne le conteste.

Voilà la manière dont on parle des « effets secondaires », généralement acceptés, du « fonctionnement normal » d’un réacteur sans incidents ni accidents. Il en résulte que « l’effet secondaire » accepté et banalisé – la radiation – devient la chose essentielle catastrophique. Des événements quotidiens comme un clapet perméable, une conduite d’eau de refroidissement endommagée, une pompe qui ne fonctionne pas etc. ne conduisent pas simplement à une défaillance de la performance pour laquelle une telle installation est prévue. Au contraire chaque panne technique, si banale soit-elle, est le prélude à l’irruption d’un « malheur ». Ce qui menace c’est une réaction en chaîne incontrôlée par laquelle le réacteur ne remplit plus son devoir de produire du courant et la radiation a son libre cours. Les difficultés qui apparaissent pendant la tentative d’éviter le passage de l’incident à l’accident laissent apparaître le blabla sur la sécurité de quelconque centrale nucléaire comme tout simplement ridicule. A la suite de tout ce qui peut arriver – que ce soit une perte de liquide de refroidissement ou un manque de réapprovisionnement en ce liquide ou par conséquent une hausse de température ou de pression –le réacteur risque de ne plus fonctionner comme il faut, par contre, ce qui fonctionne d’autant mieux, c’est la réaction en chaîne.

C’est ainsi que dans les centrales nucléaires se déroule un test permanent qui expérimente avec une réussite, à cent pour cent, de chaque fonction de la machine et de l’homme. Cette expérimentation utile n’a pas lieu sous forme d’une supervision du réacteur en cours, car le contrôle des fautes (possibles) et des points faibles n’est pas réalisable sans mise à l’arrêt. Des centrales nucléaires étant prévues pour être en service, on attend qu’une panne rende un arrêt nécessaire. Par contre, il est sûr que la radioactivité à l’intérieur d’un réacteur laisse des traces sur le matériel. C’est seulement par expérience que les exploitants des centrales nucléaires ont pris connaissance de « l’usure » particulière engendrée par la radiation sur les conduits de liquide de refroidissement, les réservoirs de pression etc.- toutefois sans arriver à la conclusion qu’il vaudrait mieux y renoncer.

Le danger des pannes, des hasards, des déchets et des accidents catastrophiques est bien connu des responsables. En ce qui concerne la question de savoir ce qui est cause ou effet, les scientifiques et les techniciens considèrent avec le plus grand sérieux comme cause et contenu du danger qui ressort de la réaction en chaîne déclenchée par eux une soupape ayant une fuite, une décision erronée de l’équipe de service ou les deux à la fois et la fatigue et les déformations des matériaux difficilement calculables à l’avance.

Pratiquement, le souci pour la « sécurité », en clair le risque comme condition d’exploitation montre ainsi que la construction d’un réacteur est en réalité un projet pour éviter les incidents attendus.

On évite le “pire” par un débranchement de secours. Des barres de cadmium sont à disposition pour être glissés entre les barres de combustible: L’intention est évidente: plus de masse critique, la réaction en chaîne est arrêtée. Mais les inventeurs de cette mesure préventive de sécurité sont des experts – et ils disent franchement en quoi consiste le “problème” de cette sécurisation. Si cette mesure est nécessaire c’est qu’il y a déjà une grande chaleur dans le cœur du réacteur et les barres de combustible déformées peuvent empêcher le l’insertion des barres de cadmium servant de frein de secours. Ce que les experts donnent au protocole est bizarre. Du moins pour une mesure préventive de sécurité. Plus un arrêt de secours est nécessaire, plus la réussite est douteuse!

Si les débranchements de secours ne fonctionnent pas, les systèmes de refroidissement de secours eux au moins doivent fonctionner. C’est aussi ce que pensaient les Japonais. Mais fonctionneraient-ils si les hautes températures sont atteintes de telle sorte que la déflagration menace? Est-ce que cela signifie que trop de pression au mauvais endroit entraînerait des explosions?

Ce n’est pas pour rien qu’il existe une protection contre l’éclatement. D’une part la cloche de béton protégeant le réacteur doit contenir les effets d’un grave accident au moins pour un certain temps. Cette “garantie de sécurité” est soumise aux mêmes règles que toutes les autres. Sa valeur dépend beaucoup de la caractéristique du déroulement de l’accident: Avec quelle chaleur se dégage combien de pression, quelles qualités de gaz se forment à quelle quantité (danger d’explosion) etc. Rien n’est “maîtrisé “ ni “protégé” par cette « garantie ». D’autre part les experts ont remarqué après Tchernobyl que, dans certaines conditions, cette protection contre l’éclatement peut même compliquer le contrôle et l’extinction d’un incendie d’un réacteur.

Ainsi se répète à tous les niveaux la particularité technologique de cet aménagement de la soi-disante sécurité du réacteur: Sa mise en service est un risque en soi. Et cela, être un risque, n’est pas à confondre avec le fait de comporter des risques ce qui arrive avec d’autres appareils du progrès. Ceux qui sont intéressés à l’exploitation du nucléaire adoptent ce point de vue, c’est-à-dire qu’ils font dans leur travail pratique comme si la réaction en chaîne nucléaire était une technologie moderne quelconque avec certains risques. Ils manient le risque produit par eux mêmes comme une série de conditions avec lesquelles il faut “s’arranger”. A savoir au profit de l’entreprise. Ainsi, la mise en service des centrales nucléaires est un compromis entre le risque et l’exploitation afin que celle-ci soit rentable.

Le paradoxe selon lequel, de toute façon, il est impossible d’éviter les dégâts inévitables jusqu’à la catastrophe majeure, -“nous” devons donc vivre avec un peu de « risque résiduel » -, ce paradoxe demande un calcul de nature différente, qui, par décision judiciaire, obtient une valeur juridique. La politique nucléaire complète le calcul propre à l’économie du marché, lequel compare les frais et le rendement par la réflexion nécessaire et bon marché qui met en balance les frais et le risque, ce qui a été ratifié en 1979 par la Cour constitutionnel fédéral.

“Tout le monde est d’accord sur le fait que cette prévention de risque n’exige pas l’élimination de tout risque avec une sécurité absolue parce qu’autrement l’utilisation de la technologie ne serait plus possible.”

De toute façon, l’empêchement des dégâts radioactifs ne peut pas être garanti; alors qu’en contrepartie chaque Euro dépensé pour investir dans des constructions et des systèmes de sécurité coûteux est une diminution garantie du profit recherché. Un défi pour le calcul fait par l’Etat qui à l’encontre de l’opinion générale ne balance pas entre le risque et les frais, mais entre les dégâts acceptés et les frais.

L’Etat compare les coûts d’un accident dans un réacteur en service avec ceux causés pour éviter celui-ci. L’atteinte à la santé publique contre la rentabilité; c’est ainsi que s’appellent les deux extrêmes du calcul entre lesquels un État exemplaire n’a pas de grands problèmes pour se décider. La logique du calcul des probabilités se porte garante qu’il ne faut pas que sa politique nucléaire coincide avec la destruction du “matériel humain”.

Les capitalistes et les techniciens de la filière nucléaire au Japon se sont probablement tenus à des objectifs similaires.

Plus l’épaisseur des conduits du réfrigérant (bon contre un éclatement prématuré!) est grande, plus le degré d’efficacité de la transmission de la chaleur est bas (mauvais pour le bilan!). Plus le détecteur pour le débranchement de secours est sensible (bon pour la “sécurité”!), plus la charge possible du réacteur est basse parce qu’il est trop souvent débranché (mauvais pour le bilan!). Plus les systèmes de sécurité jusqu’à la protection contre l’éclatement sont diversifiés (bon pour la maîtrise du déroulement des stades les plus divers en cas d’accidents!), plus le rapport coûts – excédent est défavorable!

Selon ce type de calcul habituel le monde de la technologie est en sens dessus dessous. Ce ne sont pas les différents types d’accident d’un réacteur qui déterminent les efforts techniques et pécuniaires pour les maîtriser. Au contraire: C’est ce qu’on veut dépenser et que l’on croit techniquement pouvoir encore maîtriser à temps, c’est ce qui définit les formes d’accident qu’on prévoit.

Cela va avec l’offre généreuse de la chancelière allemande de faire contrôler la sécurité des centrales nucléaires allemandes “sans tabou” pendant trois mois à cause de la catastrophe majeure actuelle au Japon. Jusqu’à la prochaine catastrophe majeure, la confiance en la sécurité (“spécialement allemande!”) aide énormément à surmonter les doutes. La politique, justement elle, garantit la solidité des centrales nucléaires. Celles-ci, bien sûr, ne sont pas plus solides que les arguments de leurs porte-parole politiques et de leurs bénéficiaires capitalistes.


[ 1 ] Le terme allemand „Restrisiko“ n’est pas une philosophie se basant sur le hasard, mais plutôt une donnée de calcul pour l’espace politico-économique: Le „Restrisiko“ n’est pas ce, pour quoi on le tient souvent en Allemagne. La politique et le public utilise l’image de l’homme, qui s’expose toujours et partout vis-à-vis des forces de la nature et de la technique à des risques inévitables qui sont malheureusement incontournables malgré toutes les mesures de précaution. Cela n’est pas correct. Premièrement l’homme n’est pas le sujet en effet qui a lance l’énergie nucléaire. Au contraire, les hommes politiques et les industriels ont dû imposer leur projet au début de l’industrie nucléaire en Allemagne, voire même contre la volonté de beaucoup de gens qui s’étaient engagés dans le mouvement anti-nucléaire et s’appelaient “la rue” et qu’un homme politique conscient de ses responsabilités ne doit pas écouter. Deuxièmement le danger qui provient d’une centrale nucléaire n’est pas celui de la nature. D’elle–même, celle-ci n’a pas produit cette source de radioactivité. Il s’agit de la nature transformée conforme à un but, technologie tout simplement. Malheureusement, le but qui sert cette technologie n’est pas sain pour les hommes parce que ce n’est pas à eux qu’il doit servir, mais à la croissance capitaliste.

Tout ce qui arrive pendant la catastrophe radioactive à Fukushima obéit à une nécessité telle qu’elle est déjà anticipée dans le manuel pour incidents, nécessité qui s’est déjà passée à Harrisburg ou à Tchernobyl.

[ 2 ] Entre-temps, le gouvernement allemand a voté la sortie du nucléaire en 2022.

 


© GegenStandpunkt Verlag 2012