L'Algérie fait la une des journaux. Régulièrement et quotidiennement pendant le mois du ramadan, il est rendu compte des massacres commis contre sa "population sans défense ». Le message transmis avec cette présentation de cadavres est le suivant: "affreux" et "insensé". Les actions meurtrières sont attribuées à des groupes de terreur fondamentalistes; simultanément, l'armée d'Etat serait impliquée dans cette affaire sanglante. Ceci embarrasse les experts en droits de l'homme et en loyalisme républicain. Les motifs des auteurs de la violence dont ils rendent compte leur paraissent "incompréhensibles" et "mystérieux". Lors de leurs investigations, ils ne peuvent pas découvrir dans les actes de violence le motif décisif qui leur permettent de différencier entre la violence insensée et celle nécessaire et de concéder le cas échéant à une partie le droit d'être brutal; ce qui est également "dégoûtant" - pour rester dans le langage utilisé. Comparé à la dissolution violente de la Yougoslavie, il leur manque ici l'allégation sûre pour une différenciation morale entre la soif de liberté nationale et la répression, entre la terreur et l'autodéfense légitime - soit l'intérêt manifesté de l'extérieur d'aider une partie à la victoire. C'est pourquoi on refuse aux deux parties les bonnes raisons nationales et crie à l'ordre: la "normalité" devrait retrouver sa place en Algérie.
Selon les critères d'une démocratie qui fonctionne bien, rien n'est en effet "normal" en Algérie: la terreur règne dans le pays, des villages entiers sont massacrés, on compte jusqu'à cent mille morts dans les dernières années, la fin de la violence n'est pas en vue - et on ne sait même pas si les massacres continus de la population doivent être mis au compte de l'armée ou de ses adversaires. Des commandos du GIA assaillent et tuent des villages entiers sans que le pouvoir d'Etat militaire ne puisse l'empêcher - et souvent il ne le veut pas non plus. L'armée provoque et répond aux actes de violence des combattants du GIA par un contre-terrorisme qui n'atteint pas seulement les activistes ennemis. Toute l'Algérie est un champ de bataille; à côté des centres de résistance des "saints guerriers" se trouvent des zones de protection militaires, on rappelle qui est leurs maîtres aux régions éloignées du territoire surtout par des actions éclair de nettoyage de l'armée. Les attentats d'un des côtés et les mesures énergiques de l'autre côté contrarient sans cesse la marche normale de la situation.
Mais cela est loin d'être "insensé". Dans cette nation règne l'état d'urgence. Le pouvoir dans le pays se préoccupe uniquement de son maintien en place. Apparemment, le conflit politique a laissé de côté la question sur la teneur et l'usage du pouvoir d'Etat pour des buts nationaux, a laissé derrière lui quant au contenu le conflit sur des programmes et perspectives nationaux différents et s'est concentré en un conflit sur l'importance et l'ampleur de la violence régnante. Une des parties conteste le monopole de la violence au gouvernement, l'autre la défend - et conformément à la cause tous les deux avec les moyens de la violence et de l'intimidation violente. Les dirigeants n'ont pas seulement affaire à un "problème de terrorisme" au sens qu'ils devraient maîtriser quelques adversaires prêts à la violence, mais isolés, et pourraient sinon compter fermement sur leur peuple. Pour cela, il existe beaucoup trop de combattants prêts à tout contre le pouvoir établi qui peuvent frapper dans tout le pays - comme ils le démontrent quotidiennement. Les guerriers religieux islamiques n'existent pas en dehors de la société algérienne: ils sont le reste militant d'un mouvement fondamentaliste dont il y a 6 ans le parti - le Front islamique du Salut (FIS) - était à la veille de la prise du pouvoir, avant que l'armée n'empêche ceci par la violence, n'anéantisse le FIS et ne donne ainsi le signal pour l'évolution des partisans les plus radicaux à une lutte armée contre le gouvernement. Ils recrutent continuellement de nouveaux partisans prêts à la violence, se ralliant à leur "guerre sainte" et livrant des preuves sanglantes de la puissance et de la détermination du GIA. Le gouvernement agit tout aussi violemment et ne néglige aucune preuve de sa propre détermination pour exterminer ses adversaires avec tous les moyens qui sont à sa disposition.
C'est pourquoi la différence entre la violence de l'Etat légitime et le terrorisme antinational s'est plutôt volatilisée; car lorsqu'il s'agit de prouver la capacité à la violence et la disposition à la violence, les résultats pour la population sont faciles à confondre. Il n'y a pas d'un côté, un gouvernement avec des intentions de pouvoir, ancrées et reconnues par le peuple, qui sont importunées par quelques fanatiques radicaux. Il n'y a pas de l'autre côté une opposition qui désire réaliser ses idées alternatives d'un pouvoir rendant heureux le peuple avec la certitude que le peuple se trouve fidèlement à ses côtés et dont la réalisation de ses idées se heurte continuellement au gouvernement. En tout cas, il n'en reste plus rien dans les actions quotidiennes des deux parties. L'agitation du peuple a lieu avec les moyens de la violence. Les deux parties dénoncent la violence injuste de la partie adverse et s'efforcent d'apporter la preuve que l'autre partie n'est pas en mesure de protéger le peuple devant la disposition à la violence. Les deux parties ne veulent pas se fier à l'approbation et au soutien de la majorité de la population; au lieu de cela, elles luttent avec des exemples sanglants contre la mauvaise influence que, selon elles, l'autre côté a ou pourrait avoir sur les masses. C'est pourquoi le conflit a les traits d'une rivalité de la terreur, d'une guerre "sale".[1] Le GIA punit avec ses raids la population pour le fait qu'elle ne le soutienne pas - par peur ou par antipathie - et démontre avec ceux-ci l'impuissance de l'Etat. Avec la conscience que cela ne touche pas les mauvais, et pour faire la preuve de la qualité criminelle de l'autre côté, les fondamentalistes effectuent des carnages déguisés en gardiens de la paix. [2] Vice versa, l'armée infiltre les organisations du GIA et se présente souvent elle-même sous l'habit du GIA. Le pouvoir d'Etat se méfie lui aussi de son propre peuple et traite une grande partie comme le creuset du terrorisme. Les régions imputées au GIA subissent le pouvoir de l'armée. Là, où le pouvoir d'Etat en est arrivé à former des "groupes d'autodéfense" dans des villages considérés comme à peu près sûrs, ces groupes servent moins à protéger des raids que tout d'abord à classer la population en partisan et en adversaire et à détacher des soldats pour défendre les régions pétrolières. Le gouvernement s'intéresse peu à la manière dont ces comités font eux-mêmes l'ordre sur place, s'ils sont aptes à une défense efficace ou bien si la population ainsi "protégée" ne devient pas une cible plutôt préférée du GIA. Avec la durée du conflit, cette mission équivaut de plus en plus à la décision cynique de l'armée de laisser libre une population, qui hier a voté en majorité pour le FIS, de venir à bout elle-même de la menace, mais de ne s'accorder en aucun cas avec le GIA. [3]
Rien d'étonnant à ce que ces conflits ne soient pas aptes à assurer n'importe quel moyen d'existence social. De la vie quotidienne à la campagne jusqu'à la question de l'unité nationale territoriale, tout est une question de la violence. La terreur fait partie de la vie quotidienne et affaiblit l'Etat. La lutte de survie du GIA s'est développée de plus en plus en une criminalité de bande; les groupes d'autodéfense s'exercent de plus en plus à la violence individuelle au lieu de faire leur preuve comme instruments du pouvoir d'Etat.[4]
Toutefois, l'Etat dispose de ressources intactes de sa puissance. Le conflit sur l'obéissance du peuple n'est en effet qu'un côté de la souveraineté algérienne. L'autre côté concerne son pouvoir sur les sources pétrolières et de gaz naturel. C'est de ces ressources, basées sur les produits bruts intéressant le commerce capitaliste et non de l'obéissance productive de ses citoyens que l'Etat se procure les moyens matériels avec lesquels il assure sa souveraineté.
C'est ainsi que l'Etat algérien a nettement dissocié ce qu'il voulait autrefois associer et rendre productif pour le progrès de la nation devenue indépendante: le peuple et le pétrole.
Ceci appartient au passé et est oublié parce que les parties en litige aujourd'hui en Algérie ne veulent plus rien savoir de ce passé: l'Etat indépendant algérien n'a pas été fondé sur un projet d'encadrement des puissances impérialistes et il n'a encore moins - comme la plupart des Etats indépendants issus du colonialisme - pris le pouvoir avec seulement une souveraineté formelle sur son pays. Il ne voulait pas s'accommoder du statut d'une indépendance sous-entendant que des prétentions et des calculs étrangers continuent à déterminer le sort du pays et prescrivent à son gouvernement sa marge d'action. L'Algérie devenue souveraine ne se situait pas comme un pays en voie de développement recherchant le soutien des nations qui décident du marché mondial, mais elle prit en main le développement de la nation comme son propre projet avec le but déclaré d'émanciper son pouvoir d'Etat et son peuple définitivement de la dépendance. C'est cette volonté et les ébauches de sa réalisation représentant le « modèle algérien » qui ont enthousiasmé, à côté de Cuba, une opposition critique du système dans les pays impérialistes, et lisant Franz Fanon.
Des chefs nationaux tels que Ben Bella et Boumediene virent le moyen de procurer à la nouvelle nation un avenir véritablement indépendant aussi bien politique qu'économique d'une part grâce aux ressources du pétrole et du gaz naturel au Sahara qui firent de l'Algérie le septième pays producteur de pétrole bien que jusqu'à aujourd'hui seulement une partie infime des gisements soit exploitée. Grâce à un caprice de la nature, ils ont pu faire face au marché mondial grâce à un produit commercial qui attirait fortement l'intérêt. A l'opposé des émirats pétroliers, ils voulaient utiliser les recettes pour le projet d'un renouveau national devant faire de l'Algérie une nation industrielle moderne qui serait en mesure de rivaliser avec les anciens maîtres coloniaux. D'autre part, ce projet comptait sur les performances évolutives d'un propre peuple dont la nouvelle souveraineté disposait pleinement. Elle avait hérité d'une société déjà organisée étatiquement par la France qui avait érigé l'Algérie non comme une annexe coloniale, mais comme une province de la métropole; l'indépendance avait été remportée par un soulèvement du peuple que l'armée française ne put réprimer dans une guerre de six ans. Les politiciens du renouveau national voulaient associer le potentiel économique transmis à la volonté politique du peuple et les rendre ainsi productifs. Le pouvoir d'Etat nouvellement acquis devait veiller à fonctionnaliser le peuple grâce au pétrole et à surmonter le statut d'un simple pays de matières premières avec sa mise en œuvre productive. Ils pensaient être suffisamment capables de réaliser le renouveau national désiré grâce à leur héritage colonial - d'autant plus qu'ils voyaient dans la détermination de faire leur preuve comme force politique indépendante la condition préalable décisive pour la réussite. C'est pourquoi les dirigeants algériens professèrent le "socialisme"; comme pour l'Egypte en son temps sous le général Nasser, le socialisme d'Etat algérien pensait moins à une prise de position politique et à une subordination sous le bloc socialiste qu'à un "socialisme arabe" avec lequel l'idéal d'une unité du peuple et des dirigeants devait se réaliser. Le parti unifié d'Etat, le FLN, anticipa cette unité qui voulait représenter à l'intérieur la volonté de progrès national et avec ceci se baser sur des valeurs traditionnelles déjà ancrées dans le peuple.[5]
Leurs chefs utilisèrent d'une part le pouvoir d'Etat pour faire de la population des participants utiles à l'œuvre de construction nationale au moyen de prestations publiques et d'aides de développement dans la mesure où ils le pensaient nécessaire. Ils fixèrent des prix pour les biens de nécessité vitale, s'occupèrent en général de la formation scolaire, organisèrent un système de santé publique - et déclarèrent le droit de leur citoyens à des chances égales personnelles nonobstant l'origine et le sexe en tant que donnée politique pour une société moderne utile à l'Etat. Dans le sens de ce programme, ils nationalisèrent l'industrie laissée par la France et prirent possession des propriétés rurales françaises délaissées en grande partie, qu'ils prirent comme modèles pour les entreprises agricoles d'Etat. A leurs yeux, le maître colonial avait en effet servi leurs intérêts en faisant de l'Algérie un arrière-pays de la mère patrie et en transformant sans égards aux droits fonciers traditionnels la zone fertile de l'Algérie en une grande propriété foncière française. En tant qu'héritiers de cette propriété, ils croyaient pouvoir renoncer en grande partie à s'efforcer de développer les conditions élémentaires de subsistance du peuple et pouvoir se servir tout simplement de la richesse héritée des grands propriétaires français qui s'étaient enfuis ou avaient été expulsés. Ils déléguèrent cette tâche aux membres des coopératives publiques. Ces coopératives devaient gérer leurs affaires de façon autonome - "selon le modèle yougoslave" - et ne soustraire aucun moyen à la construction industrielle projetée - c'est ainsi que les planificateurs du progrès considéraient toutes les demandes de subventions publiques en faveur de l'agriculture -, mais au contraire elles devaient servir à cette construction en approvisionnant la nation à bon marché. Dans ce but, les coopératives ne furent pas subventionnées, mais tenues à payer les salaires les plus bas aux ouvriers agricoles publics et à demander des bas prix pour des produits agricoles qui souvent ne rapportaient même pas les coûts, de telle sorte que de plus en plus la population rurale envahit les villes. L'Etat algérien abandonna largement à elle-même l'économie de subsistance sur les sols pauvres où la plus grande partie de la population rurale superflue pour la grande propriété foncière avait été refoulée par les maîtres coloniaux.
Les planificateurs du " socialisme algérien " ont préféré utiliser les excédents en pétrole pour le projet de libérer, par la construction d'une industrie, la nation de la dépendance du marché mondial, issue de son état de pays seulement producteur de pétrole, de mettre en œuvre une production nationale de richesse et d'acquérir ainsi une réelle indépendance nationale.[6] Ayant pour point de départ des installations de raffinerie, suivies de l'ébauche d'une industrie lourde, ils entreprirent de lancer au moyen du pétrole une production industrielle dans un pays agricole traditionnel: ceci fut appelé "l'industrialisation industrialisante". Pensant pouvoir accélérer ce développement, les planificateurs nationaux s'appliquèrent à acheter des structures industrielles "clés en main" aux nations qui les offraient au niveau le plus développé et qui de cette façon pouvaient compenser lucrativement leurs achats pétroliers. Ces dernières s'occupaient peu si et comment les installations étaient utiliser de façon rentable: en tant que fournisseur puissant de pétrole, l'Etat n'avait pas à être parcimonieux dans ses achats et même pas à faire le compte de ses recettes; le simple fait de disposer d'une matière première recherchée internationalement procurait à l'Algérie le statut d'un débiteur solvable et fiable avec la meilleure honorabilité. C'est pourquoi la dette extérieure de l'Etat augmenta encore plus rapidement que les capacités de production. Les recettes et les crédits du pétrole étaient seulement employées pour les complexes industriels nationaux en tant qu'enclaves modernes dans une vie économique traditionnelle se basant sur l'agriculture, le petit commerce de détail et la subsistance. Inversement, la construction et l'entretien des installations de production dont les produits ne trouvaient pas la clientèle ayant un pouvoir d'achat dans le pays et à l'étranger aucun acquéreur parce qu'ils n'étaient pas compétitifs, engloutirent continuellement les recettes publiques. Ce qui devait être le moteur de la transformation de l'Algérie en un pays industriel moderne, greva tellement le budget de l'Etat que la vie économique traditionnelle considérée comme peu rentable, donc peu digne d'être subventionnée, dépérit. L'agriculture dépérit de telle sorte qu'avec le temps, l'Algérie dut importer de plus en plus de produits agricoles en utilisant ses devises en pétrole - entre-temps ceux-ci représentent les deux tiers des produits importés.
Dans cette mesure, l'Etat a donc radicalement transformé et détruit les conditions sociales et économiques dans le pays avec son programme de développement d'un capitalisme d'Etat. Une grande partie de la population algérienne a été séparée de sa base d'existence traditionnelle et dépendait du résultat apporté par le projet national en nouvelles et meilleures chances de production et de reproduction ainsi que de l'ampleur de l'appui financier de l'Etat. Les masses croissantes que le sol ne nourrissait plus et qui suivirent les appels de l'Etat promettant de nouvelles possibilités de travail dans les villes, trouvèrent le cas échéant un emploi surtout dans les projets de construction initiés par l'Etat; les entreprises, dans la mesure où elles produisaient, n'avaient en effet que des besoins restreints en main d'œuvre nationale et n'absorbaient en aucun cas la masse grandissante des déracinés en tant que salariés. Parallèlement à l'industrialisation de l'Algérie, les bidonvilles se développèrent à la périphérie des grandes villes et des centres industriels dans lesquels entre-temps une grande partie du peuple algérien habite et ne trouve aucun travail. L'utilité des masses resta un idéal, mais leur pauvreté devint réalité. L'encadrement actuel national du peuple devint ainsi obsolète aux yeux des politiciens nationaux: au lieu d'être un investissement national dans l'avenir national, elle leur apparut alors comme une simple subvention de leur peuple dont l'utilisation pour servir efficacement la nation n'était plus prévisible à la longue. La chute du prix du pétrole en 1986 a en outre restreint fortement la seule source de recette de l'Etat et ainsi son crédit dont toute l'économie du pays dépendait. Les entreprises dépendant des subventions de l'Etat ne pouvaient plus acheter à l'étranger; le remboursement des dettes absorbait de plus en plus les recettes de l'Etat algérien. La banqueroute menaçante de l'Etat concrétisa le résultat négatif de l'évolution nationale: par son projet de rendre la nation indépendante à l'aide du pétrole, l'Algérie n'avait pas perdu, mais au contraire cimenté son statut de pays producteur de pétrole dépendant des conjonctures des nations capitalistes, et par contre avait gagné celui de pays débiteur dont les recettes ne sont plus à sa libre disposition.[7]
Le parti d'Etat régnant, insatisfait du résultat atteint, avait déjà décidé de ne plus s'obstiner à poursuivre ce programme de développement national et avait déclaré que ses efforts passés avaient échoué. Toutefois, non pour se détourner du marché mondial qui ne rend pas la nation plus riche, mais seulement plus dépendante. C'est justement l'opinion contraire qui s'est imposée selon laquelle l'Etat devait diriger ses efforts plutôt sur le fait que l'inventaire national en vaille la peine et économise des frais à l'Etat plutôt qu'il lui en coûte. Le fait que les succès économiques attendus ne se soient pas réalisés, était dû selon l'avis des gouvernants algériens à ce que l'Etat avait trop donné à la société au lieu de l'utiliser pour ses besoins de richesse. Au début des années 80, le gouvernement révisa son programme d'industrialisation. Il liquida les complexes industriels, qui selon le point de vue actuel n'étaient bons qu'à engloutir l'argent de l'Etat, en des unités plus petites qui devaient être responsables d'elles-mêmes sans subventions de l'Etat; une grande partie de ce qui venait d'être érigé fut ainsi tout simplement fermé. Le nouveau point de vue d'un budget national limité qui fut mis en ligne de compte contre le programme d'aménagement valable jusqu'à présent, favorisa l'opinion des gouvernants selon laquelle une économie dirigée par l'Etat ne fait avancer ni la compétitivité ni la rentabilité de l'économie, mais les freine au contraire. C'est ainsi qu'était préparé le terrain pour que le gouvernement en 1985 raye le "socialisme" de la constitution et ordonne fin des années 80 "l'économie de marché" et la "privatisation" comme la nouvelle perspective tournée vers l'avenir pour la nation. L'Etat décida de restreindre ou même de rétracter ses dépenses passées pour le maintien des entreprises et les quelques prestations matérielles pour le peuple.
C'est ainsi que les dirigeants algériens ont abandonné - plus cela dura, plus ce fut définitif - le programme d'aménagement national sous leur directive et ont opté pour le "réalisme" afin que leur réussite économique soit mieux assurée par les instances compétentes du capitalisme qui existent déjà.[8] Pour l'avenir national, on continua à miser sur la matière première que renferme le sol. L'utilisation appropriée des recettes interdisait naturellement la poursuite d'expérimentations nationales ainsi que leur emploi abusif pour des projets publiques servant au peuple. Il s'imposait par contre de s'écarter des doutes passés concernant la remise du destin économique du pays au monde des affaires. Avec la privatisation décidée de l'économie nationale traditionnelle, on a voulu attirer en Algérie les bailleurs de fonds du monde entier prêts à investir, qui n'existaient pas dans le pays, afin qu'ils coopèrent à la modernisation projetée du pays. Le gouvernement et l'armée misèrent surtout sur l'intérêt manifesté de l'autre côté de la Méditerranée, à intégrer l'Algérie dans le bloc économique européen. Ceci leur semblait être entre-temps l'alternative évidente à la simple maîtrise nationale. Ces projets d'avenir prévoyaient pour la population algérienne une nouvelle voie. Au lieu d'être entretenue plus longtemps - c'est ainsi que le considéraient les "socialistes" d'hier - par les subventions de l'Etat, elle devait se rendre utile à accroître la richesse nationale; naturellement dans les limites ainsi données, donc dans la mesure où son travail est demandé. La crise des dettes en 1986 a définitivement convaincu le gouvernement qu'il devait modifier ses rapports avec le peuple. Les pays créditeurs prirent en effet la parole et insistèrent sur ce que l'Algérie se mette d'accord avec le FMI sur une nouvelle gestion des dettes, ceci signifia en premier: qu'elle devait faire des économies sur le peuple. Afin d'éviter le régime du FMI, - les politiciens algériens tenaient encore fermement à leur volonté d'indépendance - l'Etat algérien anticipa les mesures d'assainissement exigées et supprima la plus grande partie des prestations publiques pour son peuple. En 1988, l'armée populaire algérienne tira pour la première fois sur son propre peuple afin de réprimer une révolte nationale de la faim.
Depuis lors, le pouvoir d'Etat qui se consacre maintenant exclusivement aux affaires d'Etat séparées du peuple, ne lutte plus que pour l'unité politique de la nation. La suppression des bonnes raisons et preuves de sa domination populaire pour laquelle il avait autrefois exigé et obtenu l'obéissance de ses sujets et le manque de nouvelles bonnes ou meilleures raisons comparables permirent l'éblouissement du peuple par des preuves plutôt idéales de son unité et de sa singularité nationales. A côté et dans le programme de progrès national pour lequel les représentants d'un "socialisme algérien" s'étaient fortement engagés, l'identité religieuse immatérielle avait toujours été considérée comme la base d'une nation algérienne indépendante, irremplaçable et unique. Plus au cours du temps, les preuves visibles de la responsabilité matérielle de l'Etat pour son peuple s'atténuèrent, plus le pouvoir d'Etat misa sur l'identité nationale "naturelle", fixée dans une foi commune, sans les perspectives "socialistes" qui y avaient été reliées. En outre, il décida que l'arabe classique du Coran serait la langue officielle obligatoire, et ce avec une population qui parlait soit encore le français ou bien un dialecte d'arabe moderne. Le gouvernement révoqua les droits de la femme et civils mis en vigueur par lui-même qui se trouvaient en contradiction avec la foi islamique. Et il misa sur une nouvelle organisation de l'approbation par le peuple qui devrait s'exercer sans les promesses matérielles actuelles: la démocratie. La transformation du peuple en électeurs, l'exigence et la mobilisation de sa conscience nationale pour sa nouvelle voie algérienne devaient constituer le moyen approprié pour assurer son monopole de la violence: les bonnes raisons, refusées dorénavant par l'Etat, pour l'obéissance du peuple deviendraient superflues par l'acte d'approbation de la base. Un mandat démocratique devait consolider le pouvoir et rendre superflu des opinions dissidentes de l'utilisation nationale du pouvoir.
Celles-ci circulaient en effet entre-temps parce qu'une alternative radicale au gouvernement national se fit entendre: les Islamistes politiques organisés dans le FIS. L'autocritique fondamentale des gouvernants - ils rejetaient eux-mêmes la voie suivie jusqu'à présent comme une défaillance de la tâche de faire progresser le peuple et la nation - ainsi que leurs efforts à établir une nouvelle unité nationale en utilisant la religion commune stimulèrent les forces politiques opprimées, mais jamais anéanties qui voulaient mettre en place un pouvoir basé sur le Coran et seulement astreint aux prescriptions de la morale religieuse au lieu de la violence d'Etat actuelle, et qui y voyaient garantie la vraie originalité nationale de l'Algérie. Parce qu'ils reprochaient aux dirigeants nationaux de détruire la morale religieuse soumise du peuple au lieu de la promouvoir, des partisans éminents devinrent plus ou moins politiques et engagèrent le combat contre le gouvernement "athée" au nom de la communauté religieuse nationale dont l'Etat devrait en être le symbole: il se serait fait l'agent d'influences étrangères, donc contraires au peuple, aurait obéi à des valeurs erronées, à savoir occidentales, et ainsi écarté le peuple et l'Etat loin de l'autre. L'opposition fondamentale islamique dont les mollahs utilisaient les mosquées comme lieux de propagande contre l'Etat, n'avait pas besoin de chercher longtemps des exemples. La déchéance sociale était tout aussi facile à démontrer que la mauvaise éducation et tout ce qui fut dénoncé comme l'effet négatif du matérialisme occidental sur la morale et les mœurs du bon peuple.[9] Le FIS a eu avec ceci du succès; la population avait été si bien éduquée au point de vue d'une propre nation fondée sur des principes moraux qu'elle a compris et accepté en masse le message: son insatisfaction politique se dirigea en majorité contre le gouvernement actuel, ses attentes vers les Islamistes. Le FIS et ses partisans croissants en arriva à procurer activement un prestige aux commandements du Coran dans les universités et dans la vie publique et à organiser à la campagne dans les villages et dans des régions entières une vie publique religieuse.
Cette opposition radicale qui menaçait de disputer le terrain au nouveau nationalisme exigé et de détourner le peuple des gouvernants, devait être démantelée avec les moyens de la démocratie. D'une part, elle devait être intégrée comme une force politique afin de lui retirer l'épine de l'opposition contre l'Etat: le FIS fut reconnu comme un parti officiel, on voulait lui accorder un rôle au parlement - quelques chefs du FLN pouvaient même imaginer une participation du FIS au gouvernement.[10] Par contre, la majorité du gouvernement misa sur ce que les Islamistes, qui avaient déjà atteint des succès percutants au niveau communal, soient écartés des pouvoirs de décision par un vote national des électeurs et que leur influence politique soit repoussée. Les élections législatives en 1991 n'ont pas donné ce résultat ; elles ont abouti à une victoire écrasante des Islamistes. La tentative des dirigeants de faire pencher dans leur sens par des élections les rapports de pouvoir contestés avait échoué. C'est pourquoi l'armée ne permit pas le deuxième tour des élections; elle s'octroya toutes les élections, destitua le président d'Etat en fonction, démantela le FIS et poursuivit ses partisans qui furent internés en grand nombre ou bien liquidés tout de suite. Parce que le scénario démocratique avait fourni la preuve que le pouvoir d'Etat actuel ne pouvait plus compter sur le vote de son peuple, l'armée prit donc elle-même en main la question du pouvoir qui n'avait pas été résolue par les élections, mais en avait été renforcée; celle-ci devait être tranchée définitivement par la force. Mais cet idéal lui aussi ne se réalisa pas; une grande partie du FIS interdit alla en clandestinité afin de lutter par cette voie pour leur alternative étatique dont la victoire préconisée par le peuple leur avait été volé par le pouvoir d'Etat. Depuis règnent en Algérie les conditions qui ont attirées l'attention de l'opinion internationale sur le pays.
Depuis lors, l'Etat algérien défend la souveraineté sur sa société; depuis lors, la vie politique et économique du pays est déterminée par des luttes violentes, de telle sorte que les conditions sont bouleversées beaucoup plus radicalement et autrement que les réformateurs nationaux en avaient l'intention.
En ce qui concerne le renouveau économique, les effets positifs escomptés du programme de privatisation convenu avec le FMI se font attendre. Les investisseurs étrangers se réfèrent à la situation incertaine dans le pays - de telle sorte que la question est réglée de prime abord de savoir ce que les pays étrangers trouveraient être lucratif dans le pays avec plus de « sécurité ». Il est seulement certain que la guerre permanente latente n'est pas une contribution à rendre attractif le pays, mais qu'elle détériore plutôt ce qui devait attirer le capital étranger selon les idées des politiciens algériens.[11] Ce qui progresse rapidement, c'est seulement l'autre côté du nouveau calcul national: le démontage des derniers restes de l'ancienne politique d'Etat. La suspension des fonds publics versés jusqu'à présent aux entreprises d'Etat est encore renforcée par les troubles intérieurs - ceux-ci sont nécessités de plus en plus pour des problèmes d'ordre intérieurs - de telle sorte que parallèlement aux nombres des victimes le nombre des chômeurs augmente. [12] Les augmentations de prix et les dévaluations du dinar ont leur conséquence: un nouveau degré de pauvreté s'étend. Toutefois, non simplement intentionnel et dans l'intérêt des finances publiques ainsi que le préconise le FMI, mais aussi en permanence en raison des agressions continues et de la dégradation de la sécurité en particulier à la campagne.
La seule source de richesse rentable, le pétrole, fonctionne indépendamment du peuple, mais doit être protégée contre des attaques du peuple. Elle se trouve sous surveillance militaire - de même que ce qui est resté de l'ancienne industrialisation et les quelques entreprises étrangères. Les gisements de pétrole dans le Sahara, les pipelines traversant le pays et les installations d'embarquement sont des zones militaires interdites. La sécurité de l'acheminement sans problèmes du pétrole local, à travers une société algérienne désorganisée, là où il obtient un prix, est la tâche principale de l'armée algérienne. [13] Un investissement rentable : l'Europe est livré sans problèmes en pétrole algérien par des pipelines vers l'Espagne et l'Italie ; il y a peu de temps, les livraisons ont été augmentées vers la Grèce. Dans le pays, presque tous les groupes pétroliers internationaux importants y sont représentés; entre-temps, les partenaires commerciaux français favorisés autrefois sont concurrencés surtout par des géants pétroliers américains dans la prospection des ressources encore inexploitées et pour l'acquisition de parts de la société nationale de pétrole Sonatrach que l'Etat algérien vient de libéraliser pour une privatisation partielle. Voilà « l'Algérie utile », qui entraîne les experts économiques étrangers à faire des pronostics favorables concernant ce futur « emerging market », d'autant plus que l'Etat algérien dispose de nouveau d'excédents de devises. Mais, la reprise actuelle à peu à faire avec les performances de l'Etat algérien. Elle est due à la stabilité relative du prix du pétrole sur le marché mondial et aux conventions sur la conversion de dettes conclues sous la plume du FMI avec les créanciers internationaux; c'est seulement à partir de l'an 2000 que le paiement des intérêts et des intérêts composés sera de nouveau dû. En outre, le déploiement de sécurité pour réaliser ceci va de pair avec le retrait fait autre part, soit dans la protection de la population. [14] C'est par ses prestations de sécurité différentes que l'Etat trie l'économie de son pays. Il utilise des forces d'ordre pour le pétrole, donc comme un Etat avec des sources de pétrole.
Mais d'autres choses ont également changé : les deux bastions de la société sur lesquelles la nation algérienne devait se baser - une élite plus orientée au standard européen dans les villes et une majorité de la population loyale et liée à l'islam - ont perdu leur « orientation » actuelle en raison de la lutte nationale sanglante. Dans la vie citadine, culturelle et intellectuelle, la lutte culturelle violente des Islamistes radicaux contre les soutiens - surtout intellectuels - du système détesté, avec laquelle le GIA a commencé sa guerre contre l'Etat, a poursuivi le travail de nettoyage destructeur qui avait débuté avec les décisions étatiques d'épargner au peuple quelques efforts de modernisation et de lui rééduquer plus de vertus et de lignes de conduites « islamiques ». Les professeurs, les intellectuels et autres représentants de l'Etat à orientation occidentale, assassinés et émigrés, n'ont pas été remplacés par d'autres mieux appropriés. Dans ce domaine également, de nombreux efforts étatiques allant de soi ont été arrêtés et les partisans de libertés personnelles et civiques de façon occidentale ont diminué, leur influence repoussée et leurs idées définitivement séparées des masses. Ceci n'a pas été remplacé par une loi morale islamiste unificatrice, mais plutôt par une lutte sanglante entre des représentants radicaux et modérés de l'islamisme sur la juste voie à suivre.
Il n'est donc pas étonnant que tous les hommes politiques algériens ne soient pas satisfaits par principe de la situation. Tous aspirent à savoir comment ils pourraient la maîtriser, comment la lutte violente pourrait être achevée - justement comment rétablir un ordre dans lequel l'intervention violente de la force d'Etat ne serait pas continuellement nécessaire. Les raisons de "l'instabilité" dont ils ont pourtant une grande part, ne les intéressent pas; pensant politiquement, ils ne voient qu'une seule raison, le manque de cohésion politique du sommet à la base. Au lieu de s'en tenir aux alternatives envisagées à l'origine d'un gouvernement national, toutes les forces politiques dans le pays s'occupent en permanence d'alternatives comme condition préalable élémentaire de l'Etat: comment rétablir un gouvernement reconnu avec un peuple loyal face aux conditions données de la sécurité étatique violente, comme si cela était la garantie pour la réalisation de toutes les attentes nationales qu'elles y relient.
L'armée, la force décisive, qui maintient l'Etat, considère dans son rôle de représentant et garant suprême de l'unité de l'Etat que le gouvernement qu'il a lui-même installé et qu'il soutient, laisse à désirer parce que le résultat escompté de son intervention violente permanente se laisse attendre: le fait que la puissance ne s'appuie pas seulement sur les militaires, mais sur la concordance des forces politiques dans le pays. Un arrangement sûr des intérêts politiques rivaux sous la conduite du gouvernement et le retour de l'armée dans les casernes ne sont pas en vue, mais par contre les charges, la mauvaise réputation et le manque de succès des troupes dans le pays sont incalculables. Mais les généraux responsables sont en désaccord entre eux et avec le gouvernement sur la voie promettant le plus de succès pour mettre en place une équipe au pouvoir en mesure de conduire le pays. Aussi bien dans leurs propres rangs que dans ceux du gouvernement, les dénommés "exterminateurs" et les "réconciliateurs" se trouvent face à face: pour les uns, seul l'anéantissement radical du GIA et le maintien de l'interdiction du FIS garantissent l'établissement durable de la paix et de l'ordre. Pour les autres, l'accord politique de tous les partis voulant s'unifier - éventuellement avec la réadmission du FIS - et l'isolement politique des forces radicales ont la priorité; le FIS ayant été presque démantelé et étant prêt à des compromis, ils peuvent trouver goût au modèle achevé violemment en 1992. C'est pourquoi ils calculent continuellement avec le fait que sous leur gouvernement les libertés permettant une concurrence politique ne pourraient être agrandies - ceci s'appelle "réconciliation nationale" -, mais se heurtent alors en permanence au problème initial selon lequel ils perdent ainsi le contrôle de la puissance. Jusqu'à présent, on maintient la voie déjà prise - celle de l'exclusion du FIS et la liquidation brutale du GIA.
C'est seulement sur cette base que l'armée établit et permet une conduite politique indépendante. Mais, sur cette base, elle veut également des partis qui concourent pour des intérêts politiques. C'est pourquoi l'Algérie est gouvernée par une coalition de plusieurs partis. L'ancien parti d'Etat, le FLN, soutient le gouvernement, même s'il démontre ses distances en participant à des manifestations contre le gouvernement. Même le désir d'une Algérie unifiée sous le droit islamiste a trouvé de nouveaux représentants qui occupent des postes de ministre dans le cabinet dont celui du ministre de l'éducation. Les généraux et le gouvernement, issu des rangs de l'armée, maintenu au pouvoir par celle-ci, misent - de nouveau et comme toujours - sur les performances du pouvoir démocratique et mettent en scène des preuves de leur légitimité et de leur volonté à unifier toutes les forces politiques dans l'intérêt de l'Algérie. [15] C'est ainsi que règne en Algérie la démocratie sous restriction et selon les règles des potentats qui ont tiré des leçons des expériences de 1992. Il est évident que cette mise en scène de légitimation ne résulte pas de rapports de pouvoirs tranchés, mais controversés: Le pouvoir prédominant du président est cimenté conformément à la constitution. Mais surtout, le fait que l'adversaire politique proprement dit ne soit pas admis aux élections. Les élections même doivent être assurées par les militaires. Et l'offre faite par le gouvernement pour obtenir la légitimation démocratique de son peuple est en conséquence: celui-ci rappelle surtout aux électeurs la prépondérance militaire de la puissance gouvernementale que ces derniers remarquent qu'ils le veuillent ou non. L'aspiration à la cessation des meurtres, au calme et à l'ordre, donc au retour d'une force d'Etat qui laisse au moins rétablir la paix, procure au gouvernement militaire les succès électoraux qu'il désire. Mais cela s'arrête là. Le décompte des voix prouvent au plus la volonté d'obéissance d'une population lasse de la guerre. Et le gouvernement plébiscité par ces voix ne réussit même pas la pacification des extrêmes politiques, mais plutôt une nouvelle preuve qu'il n'est pas prêt à mettre vraiment à disposition son pouvoir. C'est par ce fait que le gouvernement algérien est tombé en discrédit près des Etats démocratiques en Europe; des hommes politiques démocrates qui ont des lois sur l'état d'urgence dans leurs tiroirs et une opinion publique qui prêche la mise à l'écart comme une vertu démocratique d'Etat ne diffèrent pas en leur jugement: "tout à fait antidémocratique".
Ce jugement a également en Algérie ses représentants reconnus: dans les partis de l'opposition. Les deux plus grands partis qui ont leurs adhérents électoraux principalement dans la population citadine d'Alger ainsi que chez les Berbères appellent régulièrement aux protestations contre les partis bellicistes et encouragent l'élargissement des droits démocratiques comme étant la voie appropriée à la "paix intérieure". Ils se sentent en effet doublement trompés en ce qui concerne leur désir politique justifié: du fait que toute la vie politique est soumise à la question de la violence, leur droit sollicité à une rivalité politique pour participer au pouvoir n'a pas de chance; et dans la lutte entre le gouvernement et les fondamentalistes, il n'est pas tenu compte de leur refus d'une conception étatique à centralisation islamo-arabe. Bien au contraire: non seulement du côté des fondamentalistes, mais aussi dans l'orientation du gouvernement vers un renforcement de l'islamisme, de l'imposition de l'arabe classique, renforcement de l'unité étatique et amputation des libertés civiles, ils voient contesté leur programme d'une Algérie moderne qui tient compte également de la singularité des Berbères. C'est pourquoi ils soupçonnent une entente secrète entre l'armée et les terroristes contre les "forces démocratiques". [16] Donc la devise de l'opposition est "ni la dictature militaire, ni le fondamentalisme". Toutefois, la réalisation pratique de ce "ni ni" les renvoie à l'un ou l'autre côté. L'un des partis de l'opposition, le RCD, mise plutôt sur la priorité de la lutte contre le terrorisme et soutient donc pratiquement les frappes de l'armée; l'autre, le FFS, propage la réadmission du FIS et réclame le contrôle de l'étranger.[17] C'est ainsi que la rivalité permise dans la vie politique entretient l'appel à "plus de démocratie".
Entre-temps, les fondamentalistes islamistes interdits se sont également heurtés à la question de la violence. C'est surtout l'un contre l'autre que le FIS et le GIA règlent la lutte pour une alternative d'Etat islamiste. Les anciens dirigeants du FIS interdit manifestent aujourd'hui leur disposition à une soumission aux rapports étatiques en vigueur et à leur participation à ceux-ci afin de faire enfin de l'islamisme par cette voie une force déterminant l'Etat.[18] Des dirigeants du FIS internés essaient par des offres de paix et des professions de foi aux règles du jeu démocratiques d'amener le gouvernement à redonner à leur parti démantelé un nouveau droit d'existence en Algérie. Ce n'est pas une simple tactique, mais une profession de foi positive envers l'Islam en tant que programme politique visant au maintien et au salut d'une nation algérienne et non à une dissolution de l'Etat. C'est pourquoi ils se mettent d'accord avec le pouvoir d'Etat laïque - sur la lutte contre le terrorisme: Des porte-paroles du FIS excommunient les guerriers du GIA du cercle des croyants; le bras militaire dissous du FIS se joint à l'armée d'Etat afin de libérer l'Algérie des non-croyants. Vice-versa, avec la poursuite de sa lutte contre l'Etat, le GIA a repéré dans le FIS et ses adeptes son véritable adversaire qui trahit la lutte et ainsi sa propre foi. C'est pourquoi sa colère sacrée ne se concentre plus autant à libérer le peuple des hérétiques nés - fonctionnaires et partisans du gouvernement athée, intellectuels, femmes occidentalisées et étrangers -, mais plutôt à punir la population pour sa trahison selon la devise: "à chaque voix électorale, un cercueil!"
Même si et justement parce que la pacification de la situation intérieure laisse à désirer: la rivalité existant au sujet de la question de la violence contribue quelque peu à la formation de la conscience civique du peuple algérien - et ce, au sens négatif. Sur quoi les représentants islamistes du peuple se disputent, ce qu'ils promettent, n'a plus rien à voir avec le bien du peuple: les uns demandent au nom de la religion une obéissance altruiste dans la misère, les autres sous la menace de punition une participation sans conditions à la Guerre sainte jusqu'au sacrifice. Les gouvernants de leur côté n'offrent plus au peuple que le service qui précède toutes les considérations d'utilité étatiques et civiques: qu'ils veillent par tous les moyens à un ordre intérieur assuré. Et même ce ruban étroit qui unit l'un à l'autre le peuple et le gouvernement est peu solide parce que le besoin civique élémentaire et le plus soumis n'est pas suffisamment satisfait. C'est ainsi qu'en Algérie la pauvreté, accompagnée d'un nouveau point de vue politique des masses, progresse: le point de vue qu'on ne peut pas attendre beaucoup de son souverain, même pas des conditions de vie réglées. Nombreux sont ceux qui refusent déçus tous les partis; d'autres cherchent dans les rangs du GIA une nouvelle forme de vie militante; ou bien encore se réfèrent à une identité populaire qui n'est pas assez considérée dans l'Etat. C'est ainsi que le peuple modifie son caractère sans que cela ait été décidé. Il admet le règne de la violence et que la question de son utilité soit superflue. C'est aussi de ce côté que la sauvegarde de l'Etat mise sans arrêt en scène fait avancer le "renouvellement". L'Algérie est sur la voie d'être une source de pétrole avec un peuple (voir ci-dessus). L'Etat a un peuple, mais s'appuie de moins en moins sur son approbation.
Sans que le gouvernement algérien l'ait officiellement demandé, l'UE s'est imposée comme intermédiaire après la dernière vague de terreur au début de l'année. Elle a basé son droit à une intervention sur le fait que le pays déchiré est lié depuis longtemps à l'Europe. L'Algérie traite son commerce de pétrole presque exclusivement en Europe et achète une grande partie de ses denrées alimentaires sur le marché agricole européen. Elle fait partie de la zone de commerce libre européenne et parallèlement ont lieu depuis quelques années des négociations sur une convention d'association. L'Algérie indépendante s'est toujours promis un soutien politique du côté européen et l'a aussi reçu; à l'origine principalement de la part de l'ancienne puissance coloniale, la France, ensuite avec l'élargissement de l'unification européenne, de toute l'Europe. L'armée algérienne a été équipée par la France et le budget de l'Etat crédité par l'UE.
L'attitude de l'UE selon laquelle elle ne pourrait plus tolérer la situation actuelle en Algérie et doit offrir ses services neutres, est plus qu'hypocrite pour une autre raison. Les hommes politiques européens qui ne supportent plus maintenant la violence en Algérie ont approuvé fortement la décision du gouvernement algérien d'interrompre l'expérience de démocratie qui menaçait d'apporter les personnes indésirables au pouvoir. Les hommes politiques européens n'attendaient rien d'une prise de pouvoir du FIS; quelque soit le sérieux de leur propagande pour un renouvellement moral de la politique algérienne et de tout l'Etat, cette intention n'était en aucun cas d'orientation sûrement occidentale et européenne. Le fait que le parti des Islamistes fut interdit, leurs dirigeants et adhérents poursuivis, internés ou assassinés, et qu'ainsi l'Islamisme cessa d'être une alternative d'Etat menaçante, n'a donc pas causé, mais plutôt épargné des soucis à l'UE.
Entre-temps, l'UE voit tout cela un peu autrement, annonce une critique et se voit défier à agir:
"Si les Européens n'exportent pas aujourd'hui la stabilité en Algérie, ils courent danger d'importer demain l'instabilité par de grands mouvements de réfugiés" (Kinkel)
Ce ne sont donc pas les Algériens qui souffrent, mais la situation de l'Europe avec des accords assurés par Schengen, si maintenant, après les Albanais et les Kurdes, des Algériens affluent vers l'Europe parce que le pays offre des conditions de vie sous lesquelles la population aspire à fuir. Selon ce point de vue, le gouvernement algérien refuse à l'Europe ses obligations consistant à garder les figures misérables dans son propre pays, donc une intervention est de mise. Voilà en ce qui concerne l'humanisme pour le retour duquel en Algérie une troïka de ministres des affaires étrangères de l'UE et une délégation du parlement européen se sont efforcées. Ce qui aux yeux des démocrates régnants ici est critiquable dans le gouvernement algérien, pourquoi on doit agir, Kinkel le communique par le mot d'ordre "stabilité". La vérité est que le gouvernement algérien a perdu beaucoup de sa réputation en Europe. Les chefs de file de l'Europe se heurtent en effet au manque de succès du gouvernement dans un domaine qui dernièrement avait porté satisfaction: épargner à l'Europe une Algérie fondamentaliste et garantir la "stabilité" politique. Celle-ci n'est pas définie de façon particulièrement modeste: les dirigeants européens attendent depuis longtemps de l'Algérie plus que la fourniture du pétrole. Le pays doit faire ses preuves en tant que sphère de commerce utile, en tant que souveraineté pro européenne, politiquement sûre, qui n'impose pas de charges à l'Europe, mais garantit ses services. Par le programme de l'élargissement au sud de l'UE, l'Algérie ainsi que d'autres pays méditerranéens, est intégrée politiquement, économiquement et stratégiquement en tant que sphère d'influence sûre et fermement institutionnalisée. Dans ce but, il est demandé un nationalisme aligné totalement sur les directives de l'Europe, facile à manier, même et justement si le genre d'utilisation organisé et les prétentions y étant reliées ne servent pas aux besoins nationaux du pays. Les impérialistes européens sont en effet si exigeants qu'ils imputent aux pays les contradictions qu'ils provoquent avec leurs conditions de marché mondial et leur rivalité dans l'ordre du monde. Il n'est pas étonnant qu'ils soient insatisfaits du gouvernement algérien: entre-temps ils doutent que le gouvernement ne crée pas plus d'instabilité avec sa volonté de s'imposer rigoureusement au pouvoir plutôt que de l'empêcher parce qu'il n'a toujours pas retrouvé le contrôle de son pays et est occupé par une lutte qui dérange les conditions d'exploitation européennes installées. Entre-temps au lieu de s'en tenir au gouvernement actuel, les Européens peuvent s'imaginer d'autres solutions "constructives" pour l'Algérie, d'autant plus que le gouvernement a fait de l'ancienne alternative d'Etat islamiste une "force modérée" qui, aux yeux de l'Europe, semble entre-temps plutôt maniable. Le manque de succès de l'œuvre de pacification fait justement du gouvernement aux yeux de l'UE une partie du problème algérien.
Dans ce sens, des hommes politiques de l'UE agissent depuis longtemps: quelques dirigeants du FIS ont trouvé depuis un certain temps un droit d'asile et de séjour dans des capitales européennes: on peut très bien utiliser de tels opposants pour sa propre prise d'influence à la différence des "flux de réfugiés" insupportables. L'Italie et l'Espagne ont momentanément offert au FIS et aux partis d'opposition algériens interdits en Algérie une plate-forme politique pour tenter une coalition dirigée contre le gouvernement - et dans le but de relativiser la compétence principale de la France pour cette partie du flanc méridional de l'Europe. Par la dernière mission à Alger, l'UE a annoncé alors tout officiellement une compétence élargie pour la situation intérieure: la délégation européenne exhorta le gouvernement algérien à "respecter les principes de l'Etat de droit" et l'engagea à laisser examiner par des comités internationaux les dessous des massacres du GIA ainsi que l'intervention de l'armée; elle négligea donc diplomatiquement la différence entre "terreur" et "violence d'Etat légitime" dont se prévaut le gouvernement algérien. Pour aider la population algérienne coincée entre l'armée et la résistance fondamentaliste, elle offrit des livraisons de secours que l'UE exigeait d'organiser et de contrôler elle-même en ne tenant pas compte de l'administration d'Etat algérienne. Par contre, le soutien en armes que demande le gouvernement algérien lui fut refusé, ainsi que la demande pressante du gouvernement algérien d'expulser ses ennemis politiques qui ont trouvé refuge en Europe et d'interdire le soutien du GIA par le cercle des réfugiés algériens en Europe. Au lieu de cela, la délégation renouvela la demande européenne de démarrer enfin une "vraie" démocratisation -
"une démocratisation authentique, seule à même d'associer à la vie politique toutes les forces désireuses de mettre fin à la violence et de participer à la reconstruction d'une Algérie pacifiée. La formule est un appel, à peine voilé, au retour dans la vie politique de l'ex-Front islamique du salut (FIS)." (Le Monde, 7.1.98)
En tant que programme de pacification intérieure, la prescription de régler les luttes au pouvoir en Algérie démocratiquement et d'un commun accord, de partager, peut importe comment, l'exercice du pouvoir paisiblement et de rendre ainsi l'Algérie de nouveau "stable", est plutôt absurde. Ce qui se passe dans le pays n'est en rien pour le moment "apte à la démocratie". Le fait de recommander au gouvernement qui lutte pour le pouvoir dans le pays - et qui du reste vient de faire voter - un "dialogue politique" avec une opposition islamiste qui dernièrement en Europe même était tenue pour insoutenable afin de couper l'herbe sous les pieds au terrorisme: ceci n'est pas une recette politiquement utilisable; et est encore moins une offre au gouvernement algérien. Mais du point de vue du rôle de contrôle européen, une telle exigence n'est pas du tout absurde, mais appropriée. Les conceptions d'ordre et les offres d'assistance de l'Europe visent à ériger sur place des compétences internationales, soit ici européennes, pour le règlement de conflit sur place, de retirer avec ostentation des mains du gouvernement un peu de la responsabilité pour son Etat et de lui refuser un soutien diplomatique et matériel dans la "lutte contre la terreur".
Le gouvernement algérien attendait lui tout autre chose de la visite non sollicitée venant des capitales européennes: la reconnaissance de sa définition de la situation selon laquelle en ce moment son "pouvoir légitime" est entravé dans l'exercice du pouvoir souverain par la terreur "antinationale"; en outre la fourniture de l'armement de guerre approprié afin de résoudre définitivement le problème des terroristes dans le pays. Au reste, il ne voyait pas d'autres objets de négociation et s'interdisait toute "ingérence dans des affaires intérieures". Il était donc d'avis qu'il ne devait se soumettre à aucun diktat européen ne satisfaisant pas ce qu'il voulait négocier - et dévoilait ainsi un dilemme de l'UE: son programme d'agrandir son influence en Algérie dépend de la coopération du gouvernement; l'UE ne trouve pour ce but aucun autre interlocuteur valable. Les Islamistes modérés ne sont pas une meilleure alternative. Un soutien de la résistance militante est encore moins envisageable - non à cause des "crimes inhumains" du GIA - (dans le cas du démantèlement de l'Etat yougoslave dont on attendait le contrôle des Balkans, c'est la folie nationale promue par l'Europe, dont les activités de "nettoyage ethnique" sont comparables aux actes du GIA, qui fut le moyen choisi); mais l'Europe ne découvre dans ce terrorisme aucun instrument utile à ses intérêts. L'UE ne voulait pas pour cela un changement de cap net contre le gouvernement, mais amener les dirigeants à Alger, en raison de leurs difficultés intérieures, à accorder à l'Europe plus d'influence et de contrôle sur la situation en Algérie. Le gouvernement algérien ne s'est pas plié à cette exigence.
C'est pourquoi au goût des politiciens de l'ordre européens, l'intérêt de contrôle prononcé par la "mission" ne fut pas assez satisfait de telle sorte que leurs représentants révélèrent même officiellement une certaine perplexité
"C'est nous qui avons pris l'initiative, mais on n'est pas plus intelligent ni moins réaliste à Bonn qu'à Londres ou à Paris. Cela étant, une fois qu'on a constaté qu'on ne sait pas quoi faire, qu'on ne peut pas faire grand-chose, est-il possible d'en rester là?"(un diplomate de Bonn, cité par Le Monde, 18.1.98)
Impossible! Le fait que le ministre des affaires étrangères algérien ait révoqué la poursuite décidée du dialogue et sa visite à Bruxelles, ne restera sûrement pas le dernier mot. De plus qu'entre-temps l'Amérique a également annoncé des intérêts de concurrence impérialistes:
"Les Etats-Unis ont accordé à l'Algérie leur aide pour la lutte contre le terrorisme et annoncé simultanément une offensive économique d'investisseurs américains. Son pays entrerait en concurrence avec la France, partenaire commercial principal de l'Algérie, a déclaré le vice secrétaire d'Etat américain compétent pour l'Afrique du nord, Martin Indyk. Pendant son séjour à Alger, il a été discuté des droits de l'homme et d'une coopération économique."(Süddeutsche Zeitung, 16.3.98)
Annotations:
[1] En ce qui concerne les reportages sur les massacres et leurs instigateurs : Tous ceux qui selon leur propre dire ne peuvent plus supporter les souffrances du peuple algérien s'empressent, en présentant leurs sources de rapport, de nier ou de croire les faits selon leur attachement à l'une ou l'autre partie du combat....Pour Amnesty International, l'armée algérienne est la pire bande de terroristes parce que le gouvernement ne traite pas le GIA aussi rigoureusement qu'il le devrait. D'autres au contraire font tellement confiance au pouvoir d'Etat qu'ils ne le croient pas capable de terreur : »incompétence des militaires, sûrement ; indifférence, peut-être : l'arrière-pensée, dans la tête de certains, que la vie d'un bon soldat ne vaut pas celle d'un paysan qui, hier encore, jouait le FIS, pourquoi pas; mais un état-major, ou même un service spécial, fomentant les massacres, ou armant les massacreurs, ou déguisant - cela s'est dit - leurs hommes en islamistes, voilà une hypothèse à laquelle je ne parviens à croire ». (Henry-Bernard Lévy, Le Monde du 9/1/98). Ces observateurs mesurent les faits algériens à un idéal de l'Etat et concèdent ou contestent que les dirigeants algériens y satisfassent.
[2] « Si la population nous fait opposition et prend partie pour le tyran - par peur ou attirée par l'argent -, elle se fait notre ennemie. Dieu permet leur anéantissement du plus jeune au plus vieux. » « Dans la guerre que nous menons, il n'y a pas de neutralité. A l'exception de ceux qui sont avec moi, tous les autres sont des renégats et méritent la mort. » (déclaration du chef présumé du GIA, Zouabri, d'après le Spiegel 8/9/97 et le Frankfurter Allgemeine Zeitung 15/1/98)
[3] Le nombre des « défenseurs de commune » payés par l'Etat atteint entre-temps jusqu'à 200000 hommes. Le journal Neue Züricher Zeitung (23/1/98) écrit par exemple que l'armement de la population a conduit à des actes de vengeance du GIA. ...
[4] Les actes de violence des comités locaux s'accumulent : « A Relizane et à Jdioua, deux maires et 12 membres de groupes d'autodéfense ont été arrêtés parce qu'ils ont exécuté des civils...Les accusés auraient en outre terrorisé les gens de la région par des pillages, chantages et enlèvements. Les maires viennent du même village et sont membres du parti gouvernemental RND et chefs des troupes d'autodéfense locales. » (Frankfurter Rundschau du 15/4/98)
[5] « Le socialisme, en Algérie, ne procède d'aucune métaphysique matérialiste et ne se rattache à aucune conception dogmatique étrangère à notre génie national. Son édification s'identifie avec l'épanouissement des valeurs islamiques qui sont un élément constitutif fondamental de la personnalité du peuple algérien. Le socialisme, en Algérie, traduit les aspirations profondes du peuple travailleur et s'enrichit des apports de l'expérience socialiste mondiale. Son approche des problèmes de notre société et de notre développement s'inspire de l'esprit scientifique, et participe à la promotion de l'humanité vers le progrès...Le socialisme n'est pas une religion, c'est une arme théorique et stratégique qui tient compte de la réalité de chaque peuple et implique par là le rejet de tout dogmatisme. »(Charte nationale de 1976)
Ce programme prescrivait également l'orientation de politique extérieure : le pays s'entendait être le précurseur prédestiné dans la lutte diplomatique pour un rôle approprié des nations exclues à tort de la politique mondiale...
[6](6) « L'édification de la base matérielle du socialisme implique la création d'une industrie développée et diversifiée s'étendant à toutes les branches. Cette industrie est nécessaire au fonctionnement d'une économie moderne, dégagée de la dépendance étrangère. »(Charte nationale de 1976)
[7] Ceci n'est pas étonnant, mais repose sur la nature économique de ce produit naturel que l'Algérie voulait utiliser pour son développement : l'utilisation économique du pétrole pour le pays producteur n'existe que sur le marché mondial grâce à la demande des nations industrielles qui sont en mesure d'utiliser de façon productive cette matière première et de la transformer en un moyen de leur mise en valeur nationale.....
[8] Le fait que l'ère des mouvements de libération anti-impérialistes ainsi que le temps du mouvement des pays « hors bloc » étaient passés depuis longtemps , facilita la volonté de changement du système. De plus, sa base d'existence et son dernier appui, issu de la volonté de changement de l'Union soviétique, avaient également disparus. Le changement de système de l'Algérie correspond à peu près à la dissolution de l'Union soviétique.
[9] De quoi le peuple doit vivre sous une souveraineté croyante, ne joue qu'un rôle subalterne et infime par rapport au but visé d'aider ce pouvoir croyant à vaincre le pouvoir d'Etat laïque. .. « L'exportation est une activité qui résume la volonté du peuple algérien, de même que son destin à conquérir une place dans le marché mondial - grâce à ses efforts tenaces - où seule la concurrence est valable. La qualité du bien exporté (il s'agit du pétrole) et la diminution de son prix sera notre but afin de gagner la confiance des importateurs étrangers. »(« Programme économique du FIS », cité d'après : « Le FIS. Sa direction parle »,Paris 1997, S. 296). Il ne s'agit pas en effet d'alternatives matérielles, mais de vraies valeurs nationales.
[10] C'est sur ce point que le parti d'Etat d'alors se disputa et se transforma en un parti gouvernemental. La majorité des dirigeants FLN soutenait le programme d'une Algérie indépendante qui se prévalait de l'Islam comme une bande unificatrice sans laisser pour autant la religion prendre les commandes politiques : »Après l'échec des modèles importés, l'Islam s'impose comme seul refuge...Les perspectives de développement économiques et sociales coïncident avec les dogmes islamiques : jurisprudence sociale, solidarité, insistance sur la valeur du travail, performance personnelle. » selon l'ancien premier ministre, Brahimi. ....
[11] « La loi sur les investissements de 1993 et surtout celle sur la privatisation de 1994 n'ont apporté que peu de résultats. Alors que les institutions internationales avaient exigé que le gouvernement vende rapidement 300 entreprises, douze au plus - de petite taille en outre - ont été privatisées. » (L'Expansion 20/3/97)....
[12] « La décadence sociale du pays est caractérisée par deux indicateurs : exprimé en dollars, le revenu normal a baissé de la moitié entre 1990 et 95 (selon des données du FMI de 3500 à moins de 1500 dollars par an) ; d'autre part, le chômage a fortement augmenté, de 20% de la population active en 1991 à 28% en 1997 » (Le Monde du 11/4/98). ..
[13] « 40000 hommes sont en opération, le reste est stationné dans le sud pour protéger les installations de pétrole »(Le Monde diplomatique, oct. 1997)..
[14] Il est facile pour une opposition politique de dénoncer le caractère impopulaire d'un gouvernement qui délaisse la protection de sa population à cause de ses ressources en pétrole : »L'armée qui se désintéresse de la population civile, protège par contre à l'excès les zones stratégiques, les pipelines et les régions où l'industrie travaille encore. »(Said Saadi, président du RCD dans le Courrier International , 2/10/97)..
[15] En 1992, l'armée a fait échoué le succès électoral du FIS et a démantelé celui-ci, mais n'a pas révoqué le pluralisme des partis. En 1993, le président Zeroual s'est laisser confirmé par des élections. En 1996 eut lieu un référendum sur la nouvelle constitution et en 1997 il a été élu un nouveau parlement et des administrations communales.
[16] Le chef de file du RCD, Said Saadi, reprocha au gouvernement, »qu'il utilise la terreur des Islamistes comme instrument pour opprimer des mouvements de protestation sociaux et l'opposition démocratique. Les meurtres sont bien exécutés par les Islamistes, mais le pouvoir d'Etat les tolère. Tant que le régime n'est pas menacé, il s'accommode de la terreur. » (Neue Zürischer Zeitung, 4/9/97)
[17] Ait Ahmed (FFS) a appelé » de son lieu d'exil à Genève l'ONU à intervenir en Algérie pour mettre fin au ,crime contre l'humanité'. L'ONU et tous les Etats devraient obliger les partis algériens à rouvrir un nouveau dialogue. »(Neue Zürischer Zeitung, 3.9.97)..
[18] C'est pourquoi ils s'assurent que le Coran et le système multipluraliste vont ensemble. »Nous acceptons la décision des urnes, le principe du changement de pouvoir, l'existence d'une vie parlementaire et politique ; il s'agit d'éléments importants de la démocratie. »(porte-parole à l'étranger du FIS, Abdelkrim, ans : Le FIS. Sa direction parle, Paris, S. 67)..
(Article traduit de GegenStandpunkt No.2-98)
© GegenStandpunkt Verlag 1999