Lorsque, en automne 91, après la conférence au sommet de la CEE de Maastricht, marquant une époque, le Président Mitterrand fixa un référendum sur le nouveau traité d'entente des Etats de la CEE qui y avait été signé, il était sûr d'avoir l'accord de sa Nation. Son assurance ne se basait pas sur des sondages d'opinion, mais plutôt sur une raison d'Etat suivie depuis des décennies: pour la politique française, "Maastricht" représentait un objectif décisif.
Lorsque quelques mois plus tard, on dépouilla le référendum, la majorité pour le nouveau contrat de la CEE était plus que juste; et le gouvernement qui l'avait négocié et s'y était identifié, a été puni à peine un an plus tard, au printemps 93, par les électeurs avec une défaite électorale désastreuse. La raison de ce scepticisme européen et de la "lassitude gouvernementale" de la Nation n'était ni la "bureaucratie de Bruxelles" suspecte ni le "népotisme gouvernemental" socialiste, mais de nouveau la raison d'Etat européenne de la France: celle-ci avait échoué avec "Maastricht".
Le nouveau gouvernement poursuit avec une nouvelle vigueur la vieille politique. Il n'a aucune alternative à "Maastricht" et possède cependant pour cet objectif national poursuivi quelques moyens plus ou moins effectifs.
Un marché intérieur avec une monnaie européenne commune n'était pas au programme de la France: ni lorsque la 4ème République engagea en 1951 l'Union minière avec les cinq partenaires ultérieurs de la CEE, ni en 1957 lorsque les traités de l'Euratom et de la CEE furent signés; le fondateur de la 5ème République souhaitait encore moins voir diminuer la souveraineté nationale lorsqu'il conclut avec Adenauer la célèbre "amitié franco-allemande". Cependant: S'il y a une Nation qui s'est identifiée, de ses débuts jusqu'à "Maastricht" au projet de l'Europe, c'est bien la France. Cet Etat dispose d'un principe clair selon lequel dès le début, il a tout mis en oeuvre pour construire une Europe (de l'Ouest) unifiée et a défini les progrès respectivement nécessaires pour ce projet, et ce principe est essentiel pour la Nation parce qu'il définit fondamentalement le fil conducteur de son impérialisme. Il se laisse réduire à la formule suivante: avec la RFA - contre les Etats-Unis.
1. Contre les Etats-Unis: Ceci ne signifie pas que la France se serait jamais placée dans le camp socialiste réél ou bien se serait comportée impartialement dans le grand "conflit est/ouest" de l'après-guerre; ni que la Nation se serait soustraite aux principes, instaurés par les Etats-Unis, de l'économie mondiale, du capitalisme global sur la base du dollar avec ses diverses instances de règlement supranationales. Cela signifie toutefois que l'objectif national visé par la France ne s'est jamais identifié même en apparence ou a trouvé sa place, à soutenir la cause de "l'Ouest" contre le "bloc socialiste" et à entreposer à la Banque de France des dollars gagnés dans le monde entier jusqu'à ce l'on être considéré sur tous les marchés du globe avec sa propre monnaie. La France d'après-guerre et ensuite la 5ème République de De Gaulle s'opposa bien sûr au "danger soviétique" en tant que puissance souveraine victorieuse, mais aussi sur le même niveau que la puissance dirigeante, les Etats-Unis - "promue par elle-même" du point de vue français -, et trouva sous cet angle exigeant qu'elle présentait de nombreuses insuffisances: une richesse nationale trop réduite, sa base productive trop étroite, le rayon d'action de sa propre puissance militaire trop limité, et par principe la propre souveraineté restreinte de façon insupportable par le grand conflit mondial dans lequel la France était rangée, sans l'avoir engagé elle-même et pouvoir le déterminer. La Nation se prescrit donc le programme d'étendre la base de sa puissance, d'agrandir le rayon d'action de ses moyens de puissance et d'installer ainsi entre les "grandes puissances" ennemies suffisamment de puissance autonome pour s'émanciper de leur hostilité et par ce fait de la prépondérance stratégique des Etats-Unis.
La "Force de Frappe", érigée selon la conception - un peu absurde en considération de la situation stratégique donnée - de la "défense tous azimuts" et jamais mise en doute par un homme politique français, fait preuve de l'intention de créer les conditions préalables militaires pour une puissance européenne autonome indépendamment du "conflit est/ouest". On trouve la même volonté inconditionnelle d'une émancipation nationale lorsque le premier président de la 5ème République dénonça "l'ordre" d'économie mondiale capitaliste dominé par le dollar en décidant de prendre au sérieux la parité or du dollar fixée par le gouvernement américain et d'envoyer des navires en Amérique pour piller Fort Knox. De toute façon, en évoquant la nécessité de libérer la France de la suprématie américaine, aucun homme politique d'après-guerre de la "Grande Nation" ne s'est jamais laisser imposer des contraintes, encore moins celles du genre prude et hypocrite qui a toujours distingué les potentats allemands dans leur calcul revanchard d'une grande Allemagne: selon la devise relever "le défi américain" (J.J.Servan-Schreiber); l'alternative s'appelait "l'Europe ou la mort" (M.Poniatowsky);etc. (1)
2. Le fait que la France ait toujours misé de façon décisive sur la RFA pour réaliser ce projet, ne signifie pas qu'elle aurait adopté les objectifs nationaux de son partenaire le plus grand et le plus important; et cela ne signifie pas non plus qu'à Paris on n'aurait eu, ni su et aussi essayé de prime abord d'autres alternatives. A la fin de la guerre, la nouvelle République a tout d'abord rétabli son empire colonial et l'a défendu jusqu'au moment où, face aux batailles perdues, aux déficits de budget croissants et à l'isolement grandissant dans la politique mondiale, elle a du s'avouer que, dans le monde du libre commerce sur la base du dollar, des colonies n'étaient plus un moyen adéquat pour la richesse nationale; mais plutôt une charge onéreuse face aux conditions d'une prise de position globale contre le "camp socialiste". Malgré tout, la Nation ne voulait pas surtout abandonner l'Algérie en tant que "province" transméditerranéenne comme si sa condition de puissance mondiale dépendait de la fiction d'un Etat franç des deux côtes de la Méditeranée, En ce qui concerne ses relations envers l'Allemagne occupée, puis divisée, la politique française visa tout d'abord l'objectif défensif d'empêcher le vieil ennemi à développer librement ses forces dangereuses et à l'intégrer dans des organisations supranationales sous la conduite française, bien que dès le début elle s'était adonnée à l'idéal de l'Europe en tant que "troisième force" entre le communisme soviétique et le capitalisme américain. C'est sous cet objectif que fut établie la première "Communauté européenne", celle pour le "charbon et l'acier" (CECA) qui soumettait l'industrie lourde des pays participants, la base de tout armement national, à un régime supranational, de même que le plan d'une "communauté européenne de défense " (CED) qui acceptait le réarmement de l'Allemagne de l'Ouest comme contrepoids contre l'Armée rouge, mais seulement sous le commandement communautaire de dominance française allant d'un ministère de la défense commun jusqu'au niveau des bataillons.(2)
Mais la France n'en resta pas à cet objectif défensif. Elle calculait avec son grand voisin - et les autres partenaires dont Paris se sentait sûr - en tant que puissances auxiliaires pour son programme d'émancipation impérialiste. L'objectif était clair: Premièrement, créer la base économique d'une "troisième puissance mondiale" sur le sol européen, deuxièmement veiller au rayon d'action nécessaire et à l'impact militaire ainsi qu'à l'autonomie stratégique de la volonté d'intervention et d'ordre politique mondiale émanant de Paris. Le moyen servant à cet objectif devait être une communauté européenne dont la Grande Nation se faisait une idée aussi mensongère que tous les autres participants, soit celle d'un supranationalisme volontaire des autres nations servant l'intérêt du propre objectif national. La condition préalable pour une telle communauté avec la RFA recréée se basait selon le calcul français sur le fait que cette nouvelle Allemagne n'était pas seulement vaincue, mais aussi limitée dans sa souveraineté et - de façon durable comme il semblait - réduite de toute sa moitié orientale et de plus entravée à l'Est par le "rideau de fer" soviétique. La RFA dépendait donc pour son retour dans la politique mondiale de son rattachement à l'Ouest, à des conditions qui y étaient fixés et non à Bonn. L'espoir qu'avait calculé et poursuivait la France pour une intégration sûre de la RFA dans une communauté d'Etats européens définie selon son intérêt, se fondait sur l'offre qu'elle avait à faire aux Allemands sur cette base - soit une souveraineté limitée et une grandeur perdue - : compenser la perte et reconquérir puissance et souveraineté en tant que membre d'une nouvelle puissance mondiale européenne occidentale; et ceci en tant que participant actif et à égalité de droits de ce projet français - ce que la RFA ne pourrait jamais atteindre dans ses relations avec la puissance dirigeante et victorieuse américaine, selon le point de vue français -. C'est justement cette limitation de la souveraineté nationale par le"conflit est/ouest" subordonnant et empiétant sur tout, qu'elle-même subissait comme une entrave de ses ambitions nationales, que la France pensait utiliser chez les autres intéressés en tant que condition favorable à une entreprise communautaire aux conditions françaises.
C'est sur cette offre de Paris, surtout à l'adresse allemande, que l'"Europe" a été construite - seulement en arrière-plan sur la bonne volonté européenne allemande: l'Allemagne de l'Ouest d'Adenauer vaincue et à peine digne de négocier, n'aurait pu que difficilement lancer "l'amitié franco-allemande", et encore moins développer une influence d'ampleur européenne; à l'inverse, la disposition allemande à accepter l'offre française, se basait sur les limites imposées, semblant irrévocables, de l'autonomie nationale de l'Allemagne. Le fait qu'au long des succès croissants de l'œuvre communautaire européenne les rapports de force aient changé, que la RFA gagne continuellement plus de puissance économique et de souveraineté pratique que la France en autonomie impérialiste, se laissait encore accepter du point de vue français, jusqu'à "Maastricht" justement, au sens de la propre raison d'état. L'ironie amère de l'histoire pour Paris repose dans sa fin provisoire: par son agrandissement national et le rétablissement de sa souveraineté totale, la RFA, devenue grande grâce à l'Europe, anéantit le projet français.
1. L'objectif de la France de créer une puissance mondiale européenne était liée à l'idée d'une "3ème voie" entre le communisme soviétique et le capitalisme américain. Même si l'on abstrait de l'idéologie d'un mandat européen particulière en ce qui concerne "la concurrence des systèmes", il reste tout de même le programme d'un "capitalisme d'Etat" ayant son propre caractère qui dans sa lutte avec la puissance dirigeante capitaliste pour atteindre une équivalence économique ne livre pas le succès de prime abord aux aléas de la libre concurrence des capitalistes, mais veut assurer ce succès sous régie étatique.
Dans le cadre de cette "économie mixte", le premier objectif de l'Etat concernait l'utilisation efficace nationale du moyen d'échange dans lequel la richesse capitaliste de la Nation est représentée, celui de la monnaie nationale. Dès après la guerre, les banques et les sociétés d'assurances les plus importantes furent nationalisées afin d'assurer l'accumulation du capital monétaire dans la dimension tenue nécessaire par le gouvernement et de diriger l'attribution de crédit dans le sens de la planification étatique de l'économie, planification de la croissance économique française fixée dans les plans quinquennaux prescrits aujourd'hui encore. L'édification et l'agrandissement de l'équipement industriel de la Nation furent également activés par des sociétés d'Etat. Déterminants pour la décision de nationaliser des entreprises importantes furent des points de vue de la souveraineté nationale que le candidat électoral socialiste Mitterrand en 1981 exprima sans gêne sous la forme d'une déclaration de méfiance adressée aux hommes d'affaires à l'esprit multinational:
"Je trouve qu'il est juste et nécessaire de nationaliser un certain nombre d'entreprises étant donné qu'elles sont devenues des monopoles ou sont en train de le devenir et parce qu'elles produisent des produits indispensables à la Nation.. Elles ne doivent pas posséder plus de puissance économique et donc politique qui leur permette d'intervenir dans des décisions d'intérêt national partialement à leur avantage.. Si cela n'est pas fait, ces entreprises seraient très vite internationalisées et soustraites à leur détermination nationale." (programme électoral 1981).
L'alternative bourgeoise n'a peut-être pas partagé cette méfiance, mais par contre le point de vue de la souveraineté nationale dans la politique économique, Et c'est ce point de vue qu'elle a soutenu lorsqu'elle a insisté en alternance avec les socialistes sur la nécessité de privatiser. Au ministère de l'économie, il fut créé un bureau pour "la fusion et le regroupement de firmes". Les participations par apport de capital, les fusions d'entreprises et les achats de firmes furent soutenues et favorisés fiscalement. Grâce à la loi sur le "groupement d'intérêt économique", des fusions de branche et le rattachement d'entreprises semblables à des consortiums plus importants furent favorisés de telle sorte que les branches d'industrie nationales les plus rentables aujourd'hui appartiennent à deux ou trois monopoles. Des investissements étatiques et des directives pour une politique de rationalisation radicale devaient permettre aux sociétés d'Etat fusionnées de mettre également en valeur de façon décisive le poids du volume de leurs capitaux en Europe.
Car dans son fanatisme à acquérir une autonomie nationale, c'est justement sur l'Europe que la politique économique de la France a misé et conformément à cet objectif a imposé ses intérêts à la communauté. C'est avec le soutien de ses partenaires de l'Euratom que la France est devenue une puissance mondiale dans l'utilisation civile de l'énergie nucléaire; c'est ainsi que les frais pour l'arme atomique nationale devinrent rentables. Dans la même intention d'unir le progrès militaire à des affaires de dimension européenne, la France a créé avec ses partenaires une concurrence européenne à la construction aéronautique américaine - "Airbus" et "Concorde" - ainsi que son propre programme spatial et de missiles - "Ariane". La Nation ne reculait devant aucun frais pour une production autonome d'armes; d'autant plus a-t-elle tout fait pour mettre sur pied des consortiums européens et est devenue en commun avec ses partenaires le troisième exportateur d'armes du monde. Grâce au marché commun et au protectionnisme européen, l'industrie nationale a soit fermé ses portes soit atteint un niveau mondial capitaliste. Le marché agricole de la CEE fut construit opportunément de telle sorte que l'agriculture française est devenue grâce aux subventions administrées à Bruxelles une industrie d'exportation moderne et le deuxième exportateur agricole du monde. C'est ainsi qu'entre temps il n'existe plus aucune branche où les Etats-Unis ne devanceraient les Européens et à laquelle la France ne participerait pas. Il a été érigé contre tous les monopoles des Etats-Unis des capacités européennes, depuis la production de plutonium, l'aéronautique et l'astronautique jusqu'aux plantations de grande surface d'oléagineux et de blé et même jusqu'au commerce de bananes. Car, dans le cadre européen, la France n'a même pas renoncé à ses colonies: Elle les a apporté dans la CEE en tant que "Etats A.C.P" et s'est ainsi assurée la suprématie permanente surtout sur l'Afrique francophone dont les frais sont en grande partie à la charge de Bruxelles.
2. Toutefois, la France a du renoncer à biens des choses importantes pour son succès en Europe, elle a du surtout accepter la réduction de sa souveraineté économique nationale qui est pourtant toujours l'enjeu de son programme; justement en comparaison avec son partenaire le plus important et en raison de la comparaison pratique permanente avec celui-ci pour qui la construction de la Communauté européenne s'est avérée être une ascension remarquable aussi bien dans les affaires qu'en ce qui concerne la souveraineté nationale. Ce que la France a atteint dans et avec l'Europe ne s'est réalisé en effet que de moins en moins à ses conditions et toujours plus à celles que le partenaire allemand a posées, et donc plus à l'avantage de ce dernier qu'au propre avantage national. Dans le monde de la politique de la CEE, cette lutte pour l'avantage et le désavantage qu'apporte la Communauté s'est présentée comme une dispute méthodique sur un capitalisme d'utilité nationale: ici un protectionnisme à la française qui comprend à l'extérieur l'élimination de la concurrence gênante, surtout en provenance des Etats-Unis et du Japon, et à l'intérieur les mérites couronnés de succès du capital pour la puissance de l'Etat, l'instrument de la nationalisation y trouvant également une application non dogmatique; là, le point de vue que les capitalistes apportent leurs meilleurs services à la Nation lorsqu'ils n'agissent qu'à leur avantage, jugent tous les Etats librement selon leur calcul et s'installent au meilleur lieu d'investissement et de production. En fait, toutes les parties intéressées insistent une fois sur l'une, une autre fois sur l'autre maxime économique, selon le cas où ils se sentent sûrs de leur succès national ou bien ont des motifs pour le défendre par des lois; dans cette mesure, toute cette controverse est le trompe-l'œil d'idéologies nationales. Mais ce n'est pas un hasard si la France doit plutôt se laisser reprocher par son partenaire allemand un protectionnisme défensif que vice-versa. Car c'est justement une réalité que la libre concurrence des entreprises en Europe et à partir de l'Europe a décidé pour quel Etat il en résultait un avantage prépondérant. Dans cette concurrence des Nations, la France est restée le deuxième vainqueur.
Pourtant vu isolément, cela ne devrait pas signifier encore grand chose que les succès d'affaires des entreprises allemandes aient été de façon absolue plus imposants et plus importants que ceux qui furent réalisés sur le sol français et à partir de celui-ci - les entreprises françaises présentaient également des taux de croissance qui reflétaient l'avantage du grand Marché commun des Européens pour tous les capitalistes participants. Mais ceci eut pour la concurrence des Nations qui n'a jamais cessée avec la CEE des conséquences telles que la RFA put conquérir - essentiellement sur et grâce au Marché européen - la position du "champion mondial de l'exportation"; conséquences qui furent déterminées justement en raison de l'initiative anti-dollar de la France déjà mentionnée. De Gaulle avait réagi sur "le surplus de dollars" croissant avec lequel les Etats-Unis financèrent leur guerre du Vietnam, par une offensive politique sur la position particulière du Dollar en tant que monnaie universelle, à laquelle toutes les autres monnaies devaient finalement se mesurer: le général exigea pratiquement pour les réserves de dollars de la Banque de France la parité or du dollar non convertie depuis longtemps, mais maintenue officiellement comme dernière "ancre"; il extorqua ainsi le "serment déclaratoire" américain, selon lequel le dollar n'était donc pas la monnaie universelle "objective" réelle, mais seulement une monnaie de crédit, comparable à celle que d'autres souverains, en France par exemple, s'entendent aussi bien à frapper. Monnaie non "couverte" par l'or et promue au titre de monnaie universelle sur le seul fait de la suprématie sans concurrence - usurpée selon le point de vue français - des Etats-Unis dans le monde capitaliste. La position économique du dollar ne fut pas encore ébranlée par cette attaque; il resta le moyen d'échange utilisé, demandé et trouvé seul sûr dans le monde entier et la réserve monétaire fondamentale de toutes les nations participant au marché mondial. C'est justement ce qui importait au dollar: faire ses preuves - et dans quelle mesure - comme moyen d'échange universel et monnaie de réserve internationale. Si, par ce fait, sa valeur fut mise en question en comparaison avec d'autres monnaies et fut dépréciée - ce qui arriva rapidement - , ceci ne toucha tout d'abord que les autres Etats dont le trésor national diminua de cette façon. C'est justement ainsi que le monopole du dollar fut aboli en tant que dernière garantie fondamentale de l'économie mondiale de l'après-guerre. L'attaque politique sur la position exceptionnelle d'économie mondiale du dollar fut suivie par l'attaque économique. Celle-ci vint également de l'Europe communautaire - toutefois non de Paris et ni avec le franc et à son avantage. L'alternative au dollar devint - tout d'abord au sein de la CEE, puis dans le cadre d'une alliance monétaire pour les Etats membres de la Communauté - la monnaie de la puissance d'exportation, la RFA.
Pour la France, ceci représentait également un acquis: la valeur de la monnaie nationale, "libérée" de la parité fixe avec le dollar en tant que mesure de tous les échanges capitalistes, n'était pas livrée tout simplement au"libre jeu des forces du marché", mais était assurée par les relations monétaires fixées et stabilisées à l'intérieur de la CEE ainsi que par le crédit de toute la Communauté, y compris de la RFA. Le prix de cet acquis en fut la subordination sous la "monnaie pilote" allemande; une subordination au sens fondamental tel que pour le monde des affaires l'argent à gagner en France ne possédait sa propre valeur et donc aussi sa mesure des valeurs qu'en tant que subdivision nationale de la nouvelle monnaie universelle en provenance de Francfort. L'édification de ce nouvel ordre dans les dernières questions de la richesse nationale - qui signifie justement comme tout ordre impérialiste, subordination - ne se fit pas sans "frictions" pour la France: tandis que le franc dut être dévalué par rapport au Deutsche Mark, la réévaluation du Deutsche Mark fut refusée par Bonn et Francfort; il s'ensuivit une fuite passagère des capitaux en franc dans d'autres monnaies et celle-ci dut être combattue par le contrôle des changes, un moyen non conforme à la CEE et défensif, révélant donc la faiblesse économique; on dut demander des crédits monétaires à l'Allemagne. Après l'expiration des mandats de Giscard et de Schmidt, le deuxième couple franco-allemand d'hommes politiques après De Gaulle et Adenauer, la hiérarchie était établie: l'Europe correspondait aussi pour la France au bloc du Deutsche Mark, c'est-à-dire en tant que marché des capitaux commun et libre, dans lequel la monnaie allemande est la mesure sans concurrence de toute chose et où les autres nations concourent pour obtenir un rapport favorable envers ce critère du succès capitaliste.
3. Mesuré au désir français d'acquérir avec l'Europe une plus grande souveraineté politico-économique, ce résultat représente une défaite, malgré tous les avantages acquis pour l'accroissement du capital européen et également français. C'est justement parce que la Nation veut créer la base économique d'une puissance mondiale, qu'elle doit s'orienter à des données qui ne sont même pas prises avec la décision de Paris. Le mécontentement sur une telle détermination nationale venant de l'extérieur s'exprime dans les plaintes continuelles sur les "diktats" allemands en ce qui concerne la politique de la monnaie, du crédit, des intérêts, du capital et autre politique économique: celle-ci aurait de meilleures chances de succès si les "données de base" n'étaient pas fixées continuellement à Bonn et à Francfort.
Mais la France ne s'est pas pour autant détournée de sa voie du partenariat avec la RFA. Le fait qu'il s'agit avant tout d'aménager le pays en tant que lieu d'investissement et de production attractif pour les capitalistes aux conditions du bloc européen du Deutsche Mark et de leur offrir surtout un moyen d'échange solide, c'est ce qu'ont compris justement les socialistes français sous Mitterrand, le partenaire franco-allemand de Kohl, comme un défi positif et ont "modernisé" leur pays en conséquence. C'est ainsi que depuis la dernière grande dévaluation officielle, donc depuis 10 ans la politique du "franc fort" détermine la vie de la Nation.
Cette politique, reliée au programme de la "désinflation compétitive", qui devait améliorer les conditions de compétition du capital français sous la prépondérance reconnue du Deutsche Mark, a pratiqué toutes les mesures qui deviennent nécessaires dans une société capitaliste lorsque le pouvoir d'Etat met l'impératif "Economie!" à l'ordre du jour national. Il n'y a ici que peu de particularités françaises à enregistrer; tout au plus le fait que le "socialisme aux couleurs de la France" impose au nom de la raison d'Etat bien des choses qui en Allemagne sont l'affaire des parties à la convention collective autonomes - des conditions de temps de travail particulièrement flexibles accompagnées de formes flexibles de rémunérations insuffisantes. Les données tarifaires étatiques sont entre-temps une accumulation d'exceptions réglées légalement du cas normal: le droit à des contrats de travail limités, la possibilité de contrats pour travaux occasionnels de même que surtout le droit favorisé du travail à temps partiel sont les formes modernes d'utiliser le chômage créé pour faire pression sur le niveau de vie de ceux qui ont encore du travail. En raison du relâchement de l'obligation des entreprises à faire autoriser les licenciements par l'administration, avec laquelle l'Etat français entretenait une idée un peu démodée de la base de sa grandeur nationale, cette obligation perd presque toute efficacité. Par contre, le fait que tout ceci se déroule sous le titre honorable: "lutte contre le chômage", manque encore plus d'originalité.
C'est ainsi que pour la France son calcul sur l'Europe en tant que base économique élargie pour le pouvoir français a fait ses preuves - avec le petit accroc que finalement les puissances économiques agrandies ne se représentent pas dans le moyen même de puissance économique sur lequel l'Etat français a libre emprise, parce qu'il le crée lui-même, soit dans la monnaie française. Dans ce point de vue décisif, la richesse accrue de la Nation existe en tant qu'une grandeur dépendant de la puissance du Deutsche Mark; et le fait que sans le franc le Deutsche Mark ne serait pas ce qu'il est, n'y change rien parce que c'est justement la différence entre la monnaie, qui doit sa qualité de monnaie universelle à la subordination d'autres monnaies, et celle qui n'est acceptable pour les capitalistes qu'en raison de sa subordination, qui est décisive.
La France attendait de "l'Europe" plus qu'un marché commun. Elle s'est aussi donnée beaucoup de mal pour faire de la communauté ouest-européenne une puissance militaire du plus haut rang stratégique ainsi qu'une force d'ordre politique avec une influence mondiale. A la fin de la période d'après-guerre, avant "Maastricht", on pouvait enregistrer des progrès, mais non le succès visé.
1. Dans les décennies de l'hostilité prédominante de l'Ouest contre le bloc soviétique, la France s'est toujours rangée dans la communauté de guerre mondiale occidentale. Elle est toujours restée membre de l'OTAN; un changement de front ou bien seulement une vraie neutralité n'entrèrent jamais en considération même aux moments où les calculs de campagne électorale des socialistes apportèrent une participation au gouvernement des communistes fidèles à la Nation.
Sur cette base, la France a réussi également à imposer son point de vue déviant du consensus occidental: la volonté d'une autonomie nationale dans la construction militaire et dans l'ingérence et la participation politique mondiale ainsi que la prétention à une égalité de valeur stratégique avec les "superpuissances". Dans ce but, la 5ème République s'est écartée de la structure militaire de l'OTAN et a érigé à côté de l'alliance sa propre arme atomique Nationale, y compris des fusées. Leur aptitude en tant qu'arme de dissuasion autonome, pouvant être mise en œuvre de façon effective, - peut-être aussi au sens d'une "défense tous azimuts" que son fondateur De Gaulle avait déclaré comme être la mission de la "force de frappe" - peut avoir été une fiction nationaliste: les fusées atomiques de la France auraient pu être au plus lancées en tant qu'une petite contribution à la guerre atomique de l'OTAN: en cas de mise en action, on ne pensait pas de toute façon à quelque ennemi non identifié, mais à une Armée rouge peut-être victorieuse en marche vers le "sanctuaire" national, le sol français. Par rapport à l'OTAN, l'arme atomique française avait cependant une signification réelle: bien que moins stratégique, pour cela d'autant plus politique: elle était la manifestation pratique continuelle d'une méfiance européenne offensive dans la garantie américaine de risquer pour l'Europe en cas de guerre la guerre atomique stratégique avec son impact militaire au-delà des continents ainsi que cela était prévu dans les scénarios de l'Alliance. C'est ainsi que la France mettait à jour le point faible de toute la construction de l'OTAN - et selon le point de vue français encore plus: sa contradiction irrémédiable; car à Paris, on croyait tout simplement incroyable qu'une puissance mondiale puisse sérieusement mettre en jeu son existence pour sauver un autre Etat; et déclara donc que le "parapluie atomique" des Etats-Unis pour ses partenaires européens était une promesse en l'air. Simultanément, l'arme atomique Nationale de la Grande Nation représentait la seule alternative plausible et réalisable; et même si l'arsenal français seul ne changeait rien au rapport de forces stratégiques, ceci n'était qu'une preuve de plus combien une puissance nucléaire propre et plus importante était indispensable pour la sécurité des partenaires ouest-européens de l'OTAN - justement si leur situation était aussi menacée que les "livres blancs de défense" de l'Alliance la définissait.
En dehors de l'Europe, la France a également poursuivi, à côté des fronts que la puissance dirigeante de monde occidental ouvrait dans sa lutte avec l'adversaire soviétique pour des succès de position stratégique, sa propre politique d'ordre mondial; par des interventions militaires directes ainsi que surtout par des livraisons d'armes à des puissances locales qui ne voulaient pas se laisser classer dans l'un ou l'autre "camp". L'ancienne puissance coloniale resta le contrôleur militaire d'une grande partie des Etats africains; la Nation exportatrice d'armes se procura avec ses conseillers militaires, l'arme intéressante et les diplomates qui en font partie, une influence sur d'autres souverains nouvellement établis. Ici aussi, il n'est jamais arrivé que la France aurait fait chose commune avec les anti-impérialistes soviétiques; au contraire leur influence fut relative et limitée lorsque les trafiquants d'armes parisiens offraient leurs services aux potentats courtisés par Moscou sans grand égard pour les critères de tri américains. Dans cette mesure, la France contribua à ce que la famille des peuples, agrandie de si nombreux membres souverains, reste sous le contrôle convenable. Mais ceci se fit sans le mandat américain ou de l'Alliance, souvent aussi contre l'intérêt occidental prédominant de différencier plus durement entre ami et ennemi dans le reste du monde des Etats. Et tout du moins, la France ne fit pas oublier que la concurrence entre les grandes puissances capitalistes avec leurs intérêts mondiaux n'est pas disputée seulement pour des marchés, mais aussi pour la compétence de la force Nationale et que cette concurrence pour des droits d'ingérence impérialiste n'était pas terminée par la confrontation de guerre mondiale commune avec le camp socialiste, mais tout au plus interrompue.
2. La prétention à l'ordre mondial et à tenir le rang de la France exista donc toujours à côté du grand conflit de l'Ouest unifié avec son ennemi principal dissident. Mais européaniser cette prétention, c'est-à-dire regrouper les partenaires de la CEE derrière celle-ci et la réaliser de façon puissante et conséquente, c'est ce que la République n'a pas réussi malgré son engagement. Elle n'atteint qu'une simple position exceptionnelle nationale de la France sur la base et dans le cadre de l'ordre mondial occidental défini par les Etats-Unis.
C'est avec sa volonté d'une concurrence impérialiste beaucoup plus intense que la puissance dirigeante de la Communauté européenne a échoué en raison du pro-américanisme calculateur de son partenaire qui aurait été décisif dans l'atteinte de son but: la RFA a toujours fait le calcul - depuis les premiers jours du projet CEE - que sa réhabilitation et sa carrière militaire et politique mondiale étaient mieux réalisables aux côtés des Etats-Unis. Même cette erreur de construction - affirmée ou découverte par la France - de la planification de guerre mondiale de l'OTAN, le mensonge vital de l'Alliance - démasqué par la France - soit celui de la sécurité par le parapluie atomique américain, a toujours été considéré de façon constructive par les Allemands comme un problème interne de l'Alliance: ils ont utilisé leur position contradictoire en tant qu'avant-poste de l'OTAN, dont l'invulnérabilité devait décider de la transition à la guerre atomique stratégique, comme un instrument politique pour se rendre toujours plus importants; ils ont même accepté l'option d'armes atomiques eurostratégiques sur le sol allemand, afin d'acquérir un droit d'intervention et de codécision toujours plus important sur la planification des interventions atomiques de l'OTAN - et de devenir ainsi également pour l'Union soviétique l'adversaire et le partenaire de négociations le plus important. Au lieu de se laisser dissuader à quitter l'Alliance de l'OTAN par le vote de censure de la France, la RFA a utilisé au contraire la méfiance européenne préconisée par Paris contre les Etats-unis et leurs garanties, pour faire augmenter sa valeur pour les Etats-Unis en tant que partenaire européen particulièrement digne de confiance dans l'Alliance.
Pour la France, ceci eut pour conséquence que l'arme atomique avec laquelle elle se trouvait sans concurrence dans le cercle des puissances européennes occidentales, perdait pour ainsi dire politiquement sa valeur. De plus, elle voyait obstruée la voie permettant d'impliquer les Allemands et ainsi les partenaires de la CEE dans une concurrence anti-américaine pour inféoder violemment la communauté internationale et ouvrir de cette manière une véritable concurrence sur ce terrain. Ici aussi, en particulier en ce qui concerne l'exportation d'armements, la France eut toujours à faire à un partenaire qui participait avec plaisir aux entreprises franco-européennes, mais se comportait toujours sans équivoque en tant que pilier de la communauté transatlantique et détournait ainsi régulièrement les attaques anti-américaines. Au lieu de faire éclater le cadre de l'OTAN par ses relations particulières avec la RFA, la France y fut plutôt de plus en plus encadrée; et l'Europe n'atteint jamais le rang d'un sujet autonome de l'événement ayant une influence mondiale politique et capable d'action militaire.
L'œuvre contractuelle de Maastricht et les négociations qui y ont conduites, laissent reconnaître le plan français de vouloir mener le projet Europe au succès prévu au-delà du bilan provisoire contradictoire. Le plan a échoué - la politique européenne de la France continue.
1. Avec l'Union monétaire et économique ainsi que le calendrier d'après lequel - "automatiquement" en cas de doute - celle-ci doit s'effectuer, il a été prescrit, selon le point de vue français, le plan d'européaniser définitivement la puissance économique européenne, déterminée par l'Allemagne et au bilan dressé en Deutsche Mark: c à d. en faire la base utilisée, surveillée en commun et unitaire des Etats unifiés. Par ce fait, il était également prescrit et fixé ce que la France voulait exiger d'elle-même pour cet objectif, donc se croyait capable de faire: garder le pas économiquement aux conditions déterminées par le succès allemand at qui sont fixées, de façon aussi dénuée de concept que fonctionnelle, pour l'objectif d'une sélection des forts et des faibles dans les fameux "critères" selon lesquels les partenaires de la CEE doivent se qualifier pour leur union monétaire. La France n'aurait même pas eu besoin de souligner qu'elle remplissait naturellement ces critères d'aptitude; car le fait qu'une union monétaire sans la France serait sans valeur du point de vue politique parce que ne servant à rien, ne s'entend pas seulement de soi pour la France, mais aussi sur la base de la raison et de l'intention de toute l'entreprise européenne; c'est pourquoi les critères ont été définies de telle sorte que la France fasse partie des participants décisifs et n'appartienne pas de prime abord au club de ceux à la "vitesse plus réduite". Mais par surcroît on souligna avec plaisir à Paris que, vu la situation après la réunification allemande, la France satisfaisait mieux aux exigences décidées sur la solidité économique des partenaires monétaires que l'Allemagne même, dont le "Mark fort" devait devenir la propriété européenne commune par "Maastricht". Cette accentuation était déjà plutôt ambiguë; elle précisait en effet le point de vue selon lequel la mise en route de l'Union européenne sur le terrain de la monnaie et de l'économie politique exigeait bien sûr de grands efforts de la Nation, mais que ceux-ci étaient prometteurs et donc en valaient la peine.
Déjà la propagande pour le oui de la Nation lors du référendum de Maastricht a montré que les partisans du traité ne soutenaient plus eux-mêmes ce point de vue. Leur profession de foi à l'Europe fut donc plutôt négative; elle avait le même argument que le front du refus: par la peur de l'Allemagne, la Nation devait se décider à l'union avec le grand voisin à l'Est; ceci afin de "l'encadrer" et de maîtriser ainsi quelque peu politiquement une dépendance à laquelle la France était de toute façon à la merci. (3)
"Faut-il avoir peur de l'Allemagne?" était la question décisive du référendum. Officiellement, elle a été rejetée catégoriquement; mais dans quel sens, c'est ce qu'a exprimé le nouveau Premier ministre de façon bien réussi lorsqu'il a souligné en temps voulu la fiabilité de l'Allemagne en comparant Kohl avec Bismarck, donc avec le grand allemand qui est responsable de la plus grande défaite de la France à côté d'Hitler:
"Avant les cinq années à venir, l'Allemagne unifiée sera fortunée, dynamique et équilibrée, la première puissance militaire, financière et économique du continent. Il dépendra essentiellement de l'Allemagne comment l'architecture de l'Europe se présentera, comment les relations de l'Europe avec les Russes, les Américains et les Japonais se développeront. Kohl est trop perspicace pour ne pas savoir que le moment de triompher n'est pas encore venu...Qui a plus réalisé pour l'Allemagne depuis Bismarck?" (G.Balladur, FAZ 31.3.93)
Pour les besoins de leur Nation, les électeurs français sont aussi toujours tout oreilles et sont sensibles à une politique qui veut y remédier. Mais lorsque le danger de la dépendance nationale n'est évoqué que pour lier encore plus étroitement la Nation à la puissance inquiétante qui lui occasionne ces besoins, c'est alors que même des français majeurs sont plutôt dépassés. Car alors la propagande pour l'Europe en revient en fait à la déclaration des dirigeants d'avoir mené la Nation à un état de contrainte avec leur politique européenne passée et de ne plus savoir que faire. Et ceci signifie également l'aveu que l'Europe ne sera jamais ce que la France avait l'intention d'en faire. Lorsqu'on s'est donné comme objectif de devenir avec l'Allemagne et les autres en Europe la "troisième puissance" sur le globe, on ne fait pas de la propagande avec l'aveu d'être condamné à une dépendance impuissante sans l'encadrement européen du voisin. Celui qui argumente ainsi, avoue que la Nation est déjà plutôt impuissante; il annonce donc que la base de la politique européenne passée a disparue, qu'une Europe au sens et dans l'intérêt de la France n'est plus à avoir.
2. Ce qui a changé de telle sorte que le grand projet national de l'Europe apparaisse tout à coup sous un jour aussi défavorable, n'est pas un secret pour les Français - en tout cas pas en ce qui concerne le bilan économique; celle-ci devait justement être assurée définitivement et réglée par la mise en route commune et pour l'Union monétaire. Ce qui a changé, et ceci de façon fondamentale, c'est la vue française du partenaire avec lequel devait s'établir une Europe séduisante pour Paris; c'est ce qu'exprime sans réserve la propagande pour "Maastricht" citée. Et celle-ci a tout simplement changé parce que le partenaire n'est plus le même et réfute tout portrait prometteur que ses amis français s'étaient fait de lui.
Le Président des Français savait pourquoi il avait lutté contre la "réunification de l'Allemagne", seul internationalement et en cause perdue: ceci reposait sur la classique amitié franco-allemande. En effet, cette Allemagne, à qui l'adversaire soviétique remplissait gratuitement ses souhaits revenchistes dégradés en utopie depuis des décennies, à qui les puissances victorieuses redonnaient sa souveraineté totale tout officiellement et sans contrepartie et qui ne trouvait plus à l'Est aucune limite, mais au contraire des tas de demandes insistantes à être assisté, elle n'était plus à partir de ce moment un partenaire avec lequel la France pouvait projeter un avenir commun en tant que nouvelle puissance mondiale. Non pour la raison que l'Allemagne agrandie aurait été économiquement plus puissante que la vieille; justement à Paris, on enrigistrait au contraire, mais sans satisfaction, que les bilans de la nouvelle Allemagne n'accusent plus autant d'excèdents qu'avant le rattachement de la RDA. La raison en est le nouveau point de vue du gouvernement de Bonn sur les bilans dont leur configuration positive était auparavant la raison d'état pratiquée de la République d'Allemagne de l'Ouest, en tout cas plus que ses prétentions à l'est visant à modifier la situation actuelle. Le fait que la RFA traite, pour des raisons nationales, son bien le plus grand, le Deutsche Mark stable, maintenant de façon non économique presque à la légère - comparé à sa politique faite jusqu'à présent - , a bien impressionné en France. Là, on ne pouvait surtout pas ignorer le fondamentalisme national qui est en oeuvre de l'autre côté du Rhin et qui pour ses désirs ajourne pour la première fois de façon décisive toutes les considérations économiques mondiales et qui suivant son but politique remet à leur place les objections faites du point de vue de la "monnaie forte", ainsi qu'à Paris on l'avait toujours trouvé opportun pour le projet de la troisième puissance, l'Europe, mais que l'on n'avait jamais pu imposer contre les Allemands. Le fait que, pour son programme d'agrandissement national, un chancelier allemand fixe contre l'économie nationale et au détriment de sa "santé" des priorités politiques, du genre que lui et ses prédécesseurs avaient toujours refusées pour l'Europe, où à l'inverse l'avantage économique était toujours le premier et le seul objectif politique, fut compris en France petit à petit comme une catastrophe, comme un bouleversement des bases et des conditions préalables fermes de la propre politique européenne, même si l'ami Kohl ne voulait rien savoir d'une résiliation du projet commun, et au contraire insistait de sa part à ce qu'il soit réalisé des progrès irréversibles dans l'Union monétaire et économique. La volonté allemande infatiguable "d'achever" l'Europe, paraissait plutôt inquiètante depuis que la puissance, qui y repose, a démontré avec sa mainmise sur la RDA combien sa priorité repose sur l'accroissement de la souveraineté nationale et ce qu'elle entend par une Union monétaire réussie et comment elle pratique cela. L'attractivité, pour une République fédérale condamnée à une impuissance persistante, du supranationalisme européen de l'Allemagne sur laquelle avait toujours calculé la France, se présenta en tout cas comme un comportement national exigeant qui ne pouvait être ni utilisé ni dirigé par Paris; le calcul fait jusqu'à présent se révélait donc être un mensonge vital français. L'afflux des démentis venant de Bonn que l'on ne voulait naturellement pas une "Europe allemande", ne pouvait pas rassurer les Français: le bon sens gaulois comprend assez de dialectique pour entendre du démenti et des assurances ridicules des instances allemandes, selon lesquelles le propre encadrement européen était le plus pressant désir, la volonté allemande de mettre fondamentalement en discussion et "d'éclaircir" énergiquement la hiérarchie des puissances européennes et leurs compétences, et pour remarquer le déclassement politique de la propre Nation en résultant.
3. Malgré tout, même la mauvaise propagande de "Maastricht" contradictoire et défensive a impressionné les électeurs français de telle sorte que la Nation l'accepta de justesse; cependant il y a dans le monde capitaliste des instances moins incorruptibles. Elles se signalèrent, après le référendum à peine réussi, sous la forme de la crise monétaire européenne. Avec leur "attaque" sur la lire, la livre et la peseta, les courtiers en devises et les opérateurs financiers mirent à l'épreuve la fiabilité des garanties valables dans le SME contre la dévalorisation des monnaies nationales de la CEE "après Maastricht". Et il en résulta que ce n'est pas l'affirmation optimiste des parités existantes dans le traité de Maastricht qui a le dernier mot, mais son interprétation qui voit dans les critères pour l'entrée dans l'Union monétaire projetée une résiliation du système d'interconnexion valable jusqu'à présent et l'ouverture d'un processus de dévalorisation envers certaines monnaies nationales. Le fait que le franc fut aussi "sous pression" peut être considéré comme étant sans fondement en raison des bilans français - étant presque les seuls conformes à "Maastricht", ainsi qu'il fut toujours souligné pour "décourager" la spéculation -: du point de vue de la politique européenne, cela n'était que logique. Il fut en effet spéculé sur la fragilité de la connexion franco-allemande, sur la contestabilité du coeur de tous les plans de l'Europe et dans cette mesure sur la fragilité du projet de l'Europe en général, qui devrait se révéler au plus tard lors de la transition à l'européanisation des monnaies nationales.
Le serment déclaratoire sur l'oeuvre communautaire franco-allemande fut tout d'abord détourné - car il aurait signifié l'abandon du rapport franc-Deutsche Mark: l'aveu que les deux puissances dirigeantes de la CEE ne sont plus unanimes sur l'objectif de l'Union monétaire, que la France ne peut plus compter sur la loyauté européenne de son partenaire allemand ni sur son soutien absolu, au calcul purement économique. Mais la spéculation contre cette entente et la volonté commune de l'Union monétaire n'en a pas pour autant cessé. En ce qui concerne l'avenir du projet français européen après la suppression de ses conditions préalables politiques, les interventions amicales de la Bundesbank ne sont pas plus convaincantes que les quelques milliers de Français qui ont voté positivement pour le référendum de Maastricht.
4. Le nouveau gouvernement de droite, fier des bilans hérités des socialistes et soutenu par la majorité de quatre cinquièmes, que les électeurs critiques lui ont concédée, a tenté de le voir autrement. Avec des baisses, interprêtées publiquement en conséquence, des taux d'intérêt sur des emprunts en franc, elle a tenté l'expérience aux fins de savoir si son bon argent avec son taux faible n'était pas entretemps aussi convoité que le Deutsche Mark, inflationiste en raison de dettes d'état excessives, et qui du point de vue français n'était maintenu fort que par des intérêts excessivement élevés.
Dans l'espace de quelques semaines, la spéculation de juillet 93 contre le franc a rajusté les rapports et finalement extorqué le serment déclaratoire sur la solidité de l'alliance monétaire franco-allemande qui jusque là avait été refusé plusieurs fois d'un commun accord. Outre le résultat, c'est la controverse concernant les divergences entre la France et la RFA sur la question monétaire qui est révélatrice. Selon le plan du gouvernement parisien, l'Allemagne devait quitter le SME - naturellement seulement momentanément - avec son Deutsche Mark "maintenu haut artificiellement" - et avouer ainsi publiquement et donc du point de vue politique efficacement que sa politique d'intérêts et d'endettement représentait vraiment une charge injustifiée et insupportable plus longtemps pour ses partenaires de la CEE - à peu près au sens de la proposition française élégante de formulation:
"La réunification a conduit l'Allemagne à des décisions dont leurs conséquences ne sont pas absolues et à tous les moments compatibles avec les intérêts de tous ses partenaires." (Premier Balladur, selon le journal SZ du 4.8.93)
De cette façon, le gouvernement fédéral devait rendre justice aux Etats restants dans le SME pour leur utilisation du crédit en considération de "Maastricht" et des critères de stabilité qui y avaient été décidés et reconnaître le retour à des cours du change fixes avec le Deutsche Mark en tant que son obligation politique et économique. La RFA se serait mise pour ainsi dire hors-jeu par rapport à une alliance monétaire européenne conduite par le franc; après des corrections adéquates de sa politique monétaire et d'endettement, elle aurait recherché la réinsertion dans le SME conduit entretemps par la France.
Mais c'était trop beau pour être vrai. Au-lieu de cela, il fut créé selon le plan allemand un "noyau dur" du SME, l'alliance monétaire du Deutsche Mark et du Gulden hollandais, détachée des autres monnaies "faibles", qui depuis peuvent s'écarter de 15% de leur "cours moyen" avant que les obligations de soutien du SME entrent en cours. Mais le résultat ne laisse aucun doute: l'engagement constitutif pour l'ancien système des pays à la monnaie plus forte de maintenir les monnaies européennes plus faibles dans un rapport ferme avec leur propre argent et de cette façon stable, est ainsi résilié: le souci, perçu en commun dans le SME sur la valeur des monnaies de la CEE, incombe de nouveau aux différentes Nations; les pays européens eux aussi entrent en concurence sans restriction sur la valeur des monnaies nationales. Là-dessus, le ministres des finances allemand a discrètement mis les choses au point: ce qui est décisif dans le SME n'aurait jamais été les obligations d'intervention des banques nationales dans le cas de fluctuations de cours plus importants, mais l'engagement des pays membres d'exercer une politique économique de plus en plus uniforme et donc convergente, qui ne permette aucune fluctuation des cours - une explication qui décrit l'idéal de "Maastricht", mais ne rend ni l'intention et encore moins le mérite du vieil SME, mis en question par "Maastricht"; celui-ci voulait justement une garantie de stabilité européenne commune pour toutes les monnaies qui devaient se laisser gagner sur le marché intérieur, et cette garantie devait être l'élément déterminant et la base solide pour les politiques économiques nationales.
Vu l'état des choses, la leçon donnée par le gouvernement allemand défiait en outre l'effort de la Grande Nation, fait pendant des dizaines d'années et - du point de vue français - aussi rempli de succès, pour rejoindre et dépasser le champion allemand de l'exportation relativement à une politique économique solide, c-à-d orientée à la valeur de l'argent en tant que le critère le plus élevé. De plus tout à fait injustifiée: sans de meilleures "données de base" que la France, s'appuyant seulement sur les résultats douteux d'une spéculation internationale condamnable - tel était le point de vue nationaliste à gauche du Rhin -, le gouvernement allemand signifiait à ses collègues parisiens qu'il ne pouvait être question d'ici longtemps de parler d'une politique économique suffisament similaire et encore moins de résultats équivalents de l'économie nationale française. A juste titre, on vit ainsi dénoncer en France toute solidarité des Allemands en considération d'un avenir européen commun; remplacée par la volonté à une concurrence que chaque Nation doit soutenir seule, et ceci explicitement contre la Nation du Deutsche Mark surpuissante; sans la perspective sûre d'avoir, au moins en cas de succès, l'Union monétaire et économique projetée avec l'Allemagne, dont on pouvait espérer un soulagement de la pression de la concurrence internationale.
5. Contre cette prétention de devoir accepter des Allemands une sorte de résiliation des relations particulières actuelles, le côté français a rappelé ultérieurement de façon théorique l'alternative se basant sur l'esprit de l'unification européenne qui aurait été pu vraiment exister théoriquement: prévenir la crise et la spéculation monétaire par l'anticipation instantanée de l'union monétaire prévue de toute façon pour 97. Avec cela, elle n'a fait que souligner combien son intérêt à une manière de voir européenne au sens français traditionnel et à une "solution" de son état de contrainte politique et monétaire était partial et combien - tout du moins au résultat - la conception à laquelle elle devait se soumettre était antifrançaise.
Pratiquement, le gouvernement français a pris une mesure avec laquelle elle touche le noyau politique de la chose: elle a résilié le "compromis de Blair-House" dans lequel les pays de la CEE avaient accepté une solution de médiation dans le différend du GATT avec les Etats-Unis sur les contingents d'exportation de céréales subventionnées. La France a de bonnes raisons économiques pour se retirer de la formule de compromis trouvée: justement, si, au sens des admonestations du ministre des finances allemand, il importe que chaque Nation de la CEE renforce sa monnaie par comparaison avec le partenaire, alors le pays ne peut renoncer à aucune chance d'exportation; et si pour cette raison, d'autres accords du GATT deviennent caduques et d'autres pays de la CEE, p.e. l'Allemagne, en subissent un préjudice, ceci fait partie des moeurs impitoyables de la concurrence qui doivent être apparamment valables aussi en Europe. Mais ce deuxième point de vue est pour le gouvernement français plutôt un chantage politique avec lequel elle veut maîtriser ses partenaires de Bonn. Ils doivent comprendre qu'ils ne peuvent pas tout exiger de la France; qu'avec leur politique monétaire et économique conçue purement à partir de leurs propres intérêts Nationaux, ils sont en train de fixer la CEE sur des choses qui pour la France en tant que - tout du moins une des indispensables - puissance principale de cette communauté ne sont plus supportables et ne sont plus acceptées. Pourtant, on sait très bien à Paris pour quelle raison et à quelle fin les Allemands sont tellement intéressés à un compromis du GATT: pour eux, c'est la bonne entente avec les Etats-Unis qui est en jeu et dont ils ont tout autant besoin que la CEE pour leur liberté d'action en tant que "champion du monde de l'exportation" . C'est justement du point de vue des Français, ce qui fait le charme de leur tentative de chantage: c'est sur un point secondaire de la politique économique mondiale qu'ils imposent à l'Allemagne la question décisive la plus fondamentale et constitutive pour tout le projet commun européen - l'Europe avec la France ou bien les Etats-Unis.
Du reste, la situation est irrémédiable, quelque soit leur décision et même si la France devait retirer son ultimatum sur la loyauté européenne de l'Allemagne. Déjà, avant que la France ne montre avec le différend du GATT qu'elle ne supportait pas une Europe selon les critères allemands, l'Allemagne soutient le point de vue qu'elle n'acceptait plus une Europe selon les vieux points de vue français. C'est pourquoi la tentative française de chantage est plus qu'à double tranchant: elle met les Allemands dans l'alternative avec l'objectif de les détourner d'une décision qu'en fait ils ont déjà prise. C'est ainsi que le gouvernement français finalement ne fait qu'accélérer ce qu'il veut éviter.
1. Le traité de Maastricht contient également un message que les contractants s'adressent - dans l'essentiel - à eux-mêmes dans leur qualité de membres de l'Union ouest-européenne (UEO), cette alliance de défense du partenaire européen de l'OTAN dans laquelle la RFA avait été intégrée par son adhésion à l'OTAN, afin de répondre aux prétentions de contrôle français insatisfaits, mais qui depuis n'a joué aucun rôle à côté de l'OTAN, surtout en raison du fait qu'elle ne devait développer aucune particularité d'après la volonté américaine et allemande. La France avait insisté sur cette profession de foi officielle de la CEE envers l'UEO en tant que "son" alliance militaire afin de mettre en oeuvre le développement d'une "identité de sécurité" autonome des Européens ainsi que la construction d'une force armée de la CEE commune en concurrence avec l'OTAN. La chance en semblait donnée après qu'avec la fin de la puissance soviétique la raison pour l'ancrage - auquel Paris n'avait jamais pu porter atteinte - de la force armée et de la politique de sécurité allemandes à l'intérêt américain en Europe n'existait plus. Cette nouvelles "situation" selon laquelle les intérêts nationaux de l'Europe de devaient plus se subordonner au "conflit est-ouest", donc que les options des partenaires de la CEE n'étaient plus subordonnées à la stratégie de leur puissance dirigeante, tenait la France pour une nouvelle liberté des Nations ouest-européennes que l'Europe devait utiliser pour s'émanciper des Etats-Unis. Pour cela, dans les négociations sur le traité, il fut concédé aux Allemands - et aux Anglais -, la mise au point provisoire selon laquelle la relance de l'UEO ne se trouvait pas en contradiction avec les intérêts de l'OTAN: la profession de foi de la CEE sur l'UEO fut une petite victoire de la France sur le pro-américanisme allemand, pour le point de vue de l'autonomie européenne que seule la France avait soutenu à l'époque de la confrontation de guerre mondiale en tant que la perspective indispensable pour des Européens libres.
2. Toutefois, l'offensive française ne fut pas un succès décisif. Au lieu de faire enfin cause commmune avec Paris, alors que cela était permis et possible, les Allemands firent sentir à la France que, maintenant que la pression de l'antagonisme contre l'Est leur était enlevée, qu'ils ne voulaient faire, qu'à leurs conditions ou bien pas du tout, la transition à l'Europe projetée avec une force armée commune et une compétence d'ordre impérialiste. Ils ont mis au point ceci dans le premier cas d'une politique d'ordre en commun des Européens qui a été considéré comme exemplaire par tous les participants: dans le "cas" de la Yougoslavie. La France et ses partenaires ont cette fois n'ont seulement eu affaire au pro-américanisme calculateur des Allemands, mais aussi à leur point de vue de la souveraineté et de la compétence d'ordre nationale pleinement rétablie qui se soustrait d'une part à la vieille subordination sous la politique des Etats-Unis, mais d'autre part s'oppose tout autant à une politique d'ordre et à une "identité de sécurité" européenne définie de façon décisive par Paris. La France se vit confronter à une prise de position allemande décidée pour le séparatisme des républiques croate et slovénienne faisant partie de la Yougoslavie; elle se trouva mise au défi de mettre en jeu de façon décisive son propre potentiel diplomatique ainsi que militaire en tant que puissance d'ordre en Europe; elle insista avec ses partenaires à ce que la situation reste sous la surveillance des puissances de la CEE. Et elle dut constater que l'Allemagne n'offrait aucun soutien sûr à une politique d'ordre française. Bien sûr, celle-ci ne se pose pas - encore - en puissance militaire en Europe, mais ne se laisse encore moins fonctionnaliser en "partenaire in leadership". C'est sur un ton rempli de griefs, loin de tout "enthousiasme", que le Président Mitterrand a communiqué à ses compatriotes lors de son discours du Premier de l'An 93 ce diagnostic sur les partenaires occidentaux:
"Je suis d'avis que la France doit être active partout où il existe de dures attaques contre les droits de l'homme, car nous y sommes particulièrement qualifiés. La France est représentée sur beaucoup d'endroits dans le monde, car nous sommes dans le monde ceux qui sacrifient en premier nos soldats - bien au-delà de tous les autres, même de l'Etat le plus puissant et le plus grand; je pense ici surtout aux Etats-Unis...Mais on ne peut pas toujours recevoir seulement des admonestations et la recommandation: "Allez y!" qui est exprimée avec autant d'emphase et d'empressement par ceux qui n'y vont pas. L'Allemagne se base sur sa constitution qui le lui défend. L'Angleterre n'a pas une telle constitution et ne s'occupe pourtant de rien. Il en est de même pour les autres. Les Etats-Unis veulent (en Yougoslavie) intervenir seulement dans les airs, mais non sur le sol. Est-ce ainsi que l'on repousse des agresseurs? Et doit est-ce toujours incomber seulement à la France de réparer les dommages de l'ordre mondial, peut-être encore avec quelques Hindous et Afghans" (Le Monde 7.1.93)
3. Entretemps, avec son nouveau gouvernement de droite conservateur, le vieux Président socialiste a tout de même réussi aux Balkans à utiliser politiquement l'avantage de la concurrence au sein de l'Europe que son pays possède - encore - sur le terrain de la puissance militaire. Dans la guerre bosniaque, la France s'est établie assez massivement en tant que puissance d'ordre avec la licence de l'ONU pour définir avec ses officiers une bonne partie de la situation sur laquelle la diplomatie officielle de la CEE se refère avec ses "propositions de solution". Elle a ainsi réussi en grande partie à écarter les Allemands avec leur politique de l'immixtion sans intervention militaire importante et elle se mesure aux Etats-Unis qui accompagnent toujours leur encouragement hypocrite aux Européens de veiller au bon ordre dans leur propre domaine, avec la restriction nette qu'une "solution" sans des bombes américaines ne peut être juste, et encore moins soutenable. Contre cette opinion, la France ne soutient aucunement le point de vue de la renonciation à la violence, mais au contraire se dispute avec les Américains sur la question qui finalement doit lancer une intervention brutale dans les airs, préconisée par les deux parties: ce n'est pas la superpuissance à Washington qui doit donner l'ordre d'engagement, mais avec tout le respect dû à la compétence de décision de l'ONU, ce sont les commandants franco-belges sur place qui ont à décider la grêle de bombes dans le cas de nécessité déterminé par eux-mêmes. Ce qui est mis en scène ici comme une controverse de tactique militaire, représente selon sa substance politique la confrontation actuelle sur la question impérialiste décisive de savoir quelle Nation a le dernier mot dans le maintien de l'ordre et l'établissement de la paix.
Ce différend a encore gagné une dimension politique plus importante par le fait que la France en débat au sein de l'OTAN. Mitterrand n'a pas cherché la décision si l'UEO ou bien son pays soit habilité pour intervenir seulement par l'ONU ou bien la grande alliance. Sans grandes cérémonies, la France a mis ses troupes sous le commandement de l'OTAN et est revenue simultanément dans les organes de décision décisifs de l'Alliance dans lesquels elle n'était représentée depuis des décennies que par des observateurs. C'est là qu'elle dispute sa controverse avec l'Amérique sur le commandement lors de bombardements communs et tente en outre rien de moindre qu'une redéfinition radicale de l'Alliance que les partenaires n'ont pas l'intention (provisoirement) de dissoudre même après l'implosion de leur grand ennemi. Par conséquent, la France devrait être considérée dans la nouvelle Alliance comme le partenaire des Etats-Unis, militairement ayant les mêmes droits et politiquement de même rang - et même responsable dans certaines occasions comme aux Balkans - , qui règle des intérêts communs avec la puissance nécessaire. L'orientation actuelle de l'OTAN sur le rapport spécial germano-américain serait supprimée; l'établissement et l'imposition d'une "identité de sécurité européenne", c-à-d. d'une communauté d'intérêts militaire des Etats de la CEE par rapport aux Etats-Unis, seraient mis pratiquement en oeuvre; l'OTAN deviendrait le forum sur lequel une France représentant la CEE négocie en commmun avec les Etats-Unis des missions guerrières. Dans le cas de la Yougoslavie, les Américains sont mis pratiquement dans l'alternative s'ils veulent mener leur lutte, pour conserver le commandement dans une telle alliance renouvellée, jusqu'au risque que des bombardiers alliés mettent en danger le cas échéant des troupes sous le mandat de l'ONU, ou bien s'ils doivent vraiment laisser au Président français le pouvoir de décison sur la mise en action ou non de la force de l'OTAN.
Naturellement, cette politique aussi ne comprend aucune garantie que les partenaires de la CEE et parmi eux, celui sur qui finalement il en importe à la France, la RFA, se laissent représenter par la France militairement et politiquement, c-à-d se laissent diriger par celle-ci. Tout du moins, la Grande Nation met au point une nouvelle fois et de façon appropriée aux temps nouveaux pour quels objectifs en fait elle cherche à gagner ses voisins en tant que partenaires d'une Union européenne, et à l'inverse combien la France est décisive pour cet objectif - donc à qui doivent se tenir les Européens s'ils prennent au sérieux la volonté de l'Europe capitaliste de s'émanciper de la puissance mondiale capitaliste. Le petit accroc est seulement: justement là où la France, faute d'ennemi principal à l'Est, en voit venir sa chance, celle-ci est déjà passée. Les Allemands savent en effet depuis peu une alternative à ce projet: eux-mêmes.
Après 40 ans d'engagement pour une grande puissance l'Europe à l'image française, tout est devenu incertain pour la France. Ce qui est atteint, la CEE qui fonctionne - pour les ambitions de la France, jamais assez, mais un résultat utile et une base sûre de son programme allant plus loin - a perdu sa fiabilité. Le projet, de créer la percée pour une puissance mondiale européenne unie politiquement et économiquement, doit être, à peine convenu, considéré comme étant résilié. L'Europe dans la forme, qu'elle menace de prendre vraiment selon les données de l'Allemagne, n'est bonne à rien pour la France, et finalement même insupportable; là où elle fonctionne encore au sens de la France, l'Allemagne se distance ou travaille contre. La France ne veut pas une Europe allemande; elle ne veut pas non plus une Europe sans l'Allemagne - et fait déjà l'expérience que l'ami à Bonn ne le permet pas non plus. Donc la France fait tout pour soutirer aux Allemands l'Europe qui a été convenue. Pour cela, elle doit encaisser des défaites et ne retire pas grand chose de ses victoires partielles diplomatiques.
C'est ainsi que la France se trouve après 40 ans de partenariat impérialiste au nom de l'Europe devant la vérité de cette relation: mesurer ses forces avec un concurrent qui persiste sur ses intérêts nationaux avec une puissance et détermination croissante, qui ne sont compatibles avec l'intérêt de la France envers lui.
Annotations:
(1) Depuis des décennies,
les descriptions de la situation des hommes politiques français
ont pour ainsi dire les mêmes termes. Quelques exemples pour illustrer
la chose:
"Il s'agit de l'incertitude où se trouvent les Français
quant à la conception que se font les Etats-Unis de l'avenir de
la France... On n'a pas l'impression que les concours partiels que l'on
nous donne, ici ou là, correspondent à une politique résolue
de reconstitution d'une grande puissance française" (De
Gaulle: Mémoires de guerre, tome 3, p. 430.431).
"Renforcer la puissance des Etats d'Europe occidentale afin d'être
à la hauteur des nouveaux rapports mondiaux et de pouvoir faire
face au danger qui nous menace par la superpuissance américaine.
Dans ce but, il doit être créé une véritable
contre puissance que seule l'unification définitive de l'Europe
peut rendre possible".(Jean Monnet, 1947)
"L'Europe doit être unifiée aussi politiquement. Notre
Europe de l`Ouest doit devenir un tout afin qu'il n'y ait pas seulement
deux colosses dans le monde, faisant face l'un à l'autre, mais aussi
également un rayonnement de puissance ainsi que de sagesse. Seule
l'Europe peut former cet élément...L'Europe doit s'organiser.
Mais une telle organisation exige que la France en ait la direction et
qu'elle en forme le centre." (De Gaulle, 18/5/62)
"Entre Washington et Moscou, il s'était instauré
un dialogue direct, laissant très souvent de côté les
Européens..Maintenant, la superpuissance américaine est seule.
Son influence n'a pas encore trouvé un contrepoids grâce à
la puissance d'une Europe unifiée politiquement...Les conflits d'intérêts
entre les grands pays industriels s'aggravent. La suppression de la menace
d'une guerre mondiale avec l'Union soviétique laisse le champ libre
à des guerres économiques entre les pays développés.
La dureté de la concurrence est renforcée par la faiblesse
de croissance de l'économie mondiale..".(P.Bérégovoy,
Le Monde 7/1/93)
Les citations démontrent en même temps l'intention nette de
la France de faire de l'"Europe" le moyen de transport de son
impérialisme alternatif antiaméricain.
(2) Le contrat CED a été refusé en 1954 par le parlement français parce que les Allemands et les Américains avaient retiré tous les éléments essentiels pour la France d'un contrôle "supranational" sur la nouvelle armée allemande en raison de leur intérêt commun à une contribution allemande à l'OTAN.
(3) Le gouvernement et l'opposition
- à cette époque en rôle renversé - étaient
nationalement unanimes dans cette façon de voir les choses et sur
le programme défensif correspondant:
"En cas de refus de l'Europe, l'Allemagne retrouvera ses tendances
géographiques et historiques. Appuyée sur son Mark triomphant,
elle se tournerait de nouveau vers l'Est. Berlin ne s'intéresserait
plus à l'Europe que pour lui imposer sa volonté économique.
Les conséquences en seraient imprévisibles. Il n'y a pas
encore si longtemps que nous étions en guerre." (M.Rocard,
porte-paroles du parti socialiste)
"L'Allemagne d'aujourd'hui n'a besoin ni d'une Union monétaire
ni d'une banque centrale européenne pour imposer sa politique monétaire
au reste de l'Europe et pour être le seul partenaire des Etats-Unis
et du Japon sur le terrain économique...Le rejet du traité
de Maastricht ne rendrait pas la France plus libre; il ne ferait que permettre
à l'Allemagne d'agir à son bon gré, sans égard
pour ses voisins et ses partenaires et de pouvoir jouer de sa puissance
monétaire, financière, économique et militaire au
centre du continent sans être entravée par quelque convention
européenne." (Balladur, le Monde 21.8.92)
© GegenStandpunkt Verlag 1993