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La crise du coronavirus, sa gestion et ses conséquences
Partie I : Février

Pandémie I + afflux de migrants = une double crise

La « mondialisation » n'était pas censée se passer ainsi !

1.

Il pourrait être si beau, le marché mondial accompli : les capitaux les plus forts utilisant la planète pour organiser des chaînes de valeur transnationales qui augmentent leurs profits et pour attirer, à travers la centralisation, le pouvoir d’achat du monde entier. Tout cela afin de réaliser la croissance des entreprises capitalistes, anticipée sur les marchés boursiers. Et puis : un virus est venu tout perturber.

Plus précisément : le facteur humain refuse ses services – car la nature humaine se révèle fragile face à la nouvelle pneumonie virale ou parce que la population est confinée de manière préventive par les autorités publiques actives dans le domaine de la santé publique.

Le facteur humain refuse donc ses services :

– en tant que force de travail : des chaînes de valeur hautement intégrées sont interrompues, la production est ralentie voire arrêtée, car les employés restent ou doivent rester chez eux – notamment parce que la fermeture des écoles et des crèches et le fait que les grands-parents n’aient plus le droit de garder leurs petits-enfants, rend le salariat des parents de fait impossible.

– en tant que pouvoir d’achat : là où il n’y a pas de travail, il n’y a pas de gains ce qui est grave parce que l’argent non gagné ne peut pas réaliser les chiffres d’affaire prévus. Les producteurs et les prestataires ne parviennent pas à vendre leurs marchandises et leurs services. D’autant plus car les Etats restreignent la mobilité de leurs citoyens ce qui révèle soudainement combien celle-ci est importante pour les affaires.

Tout cela est une leçon sur le rôle et l’importance de la santé de la population, c’est-à-dire la capacité des gens à fonctionner comme une condition d’entreprise. Ce qui est bête du point de vue des entreprises, c’est que la santé publique n'est pas entièrement sous l’emprise du capital qui en a besoin.

Tout de même quelque chose peut être fait contre les conséquences négatives sur les affaires : avec leur pouvoir financier, les Etats des pays d’origine des multinationales les grandes et donc les plus touchées soutiennent ces dernières et de nombreuses entreprises qui en dépendent. Ainsi la dépendance du capital vis-à-vis de la nature fragile de ses moyens humains est-elle à un certain degré équilibrée.

Et le facteur humain lui-même ?

– Celui-ci peut s’estimer heureux si les autorités, le considérant comme un risque pour la santé publique, ne l’enferment pas, mais l’autorisent encore à effectuer ses services pour son employeur maintenu viable grâce au crédit. Ou bien, s’il est maintenu dans sa fonction de facteur économique serviable et à peu près solvable au moyen d’une « indemnité de maladie », d’une « allocation de chômage partiel », versée des caisses de l’assurance chômage à son employeur, et d’autres prestations sociales similaires soupçonnées d’être communistes.

– Et dans la mesure où il dispose encore de ses libertés civiles de circulation, il s’impose dans l’ensemble comme sujet de concurrence qui érige les vertus du respect mutuel et de la solidarité comme revendications à l’adresse de ses semblables – mais il ne les attend pas de leur part. Il préfère donc faire des provisions privées et, si rien ne va plus, il accumule du papier toilette ou il vole des produits désinfectants dans les hôpitaux.

2.

Au fond, cela aussi est vraiment beau : l’humanité, heureuse parce que connectée à l’échelle mondiale via les réseaux sociaux, informée de manière détaillée par des influenceurs sur les beautés de la vie quotidienne capitaliste là où elle existe. Mais ce qui se produit maintenant :

C’est un effet secondaire indésirable d’une mobilité de masse qui oppose à l’heure actuelle les dirigeants européens et leur homologue turc. Des réfugiés, fuyant la Syrie et d’autres régions ravagées par les guerres civiles et la misère, se retrouvent en Turquie dans de mauvaises conditions et nourrissent l’espoir désespéré de trouver de meilleures perspectives dans les pays capitalistes exemplaires d’Europe, qu’ils pensent connaître via internet et les réseaux sociaux. Sous la pression d’un environnement de plus en plus hostile en Turquie, ils partent en direction du territoire grec, soit sur un signe du Président turc, soit sans. A cette frontière, ils deviennent le matériel humain d’une confrontation cynique entre puissances impérialistes. Le contenu de celle-ci : qui met la responsabilité sur qui au sujet de plusieurs millions de migrants indésirables ?

Le résultat c’est qu’à la frontière, tous les espoirs, tous les calculs impuissants des sans-patrie s’effondrent. Une situation qui fait pitié aux défenseurs d’une conscience humaniste ; ce qui amène leurs compatriotes xénophobes à leur reprocher leur moralisme présomptueux. Les espoirs et projets des migrants échouent donc – mais à cause de quoi en fait ?

La xénophobie des peuples dans lesquels ils aimeraient tant s’intégrer n’est pas la cause de l’échec des migrants, ni le fait que de bons démocrates évoquent ce sentiment populaire pour être élus à la responsabilité politique. Ils ne font qu’adresser aux électeurs, ce qu’ils veulent avoir et entendre de ces derniers, c’est-à-dire, qu’il faut assumer pleinement ses fonctions de dirigeant au sein d’un Etat bourgeois comme il faut.

Les masses migrantes échouent donc en raison de la distinction que font les responsables politiques entre leur propre peuple et le peuple étranger,

– donc en raison d’un fait juridique fondamental que les responsables politiques sont prêts à relativiser à l’occasion quand il s’agit de combler le besoin en main d’œuvre nécessaire à leur économie ; un fait juridique fondamental qui leur est sacré car il revêt une importance primordiale dans la relation entre pouvoir politique et gouvernés, donc entre les dirigeants politiques et leurs électeurs, et qui va au-delà de tout sentiment populaire d’électeur :

– Il ne s’agit de rien de moins que le regroupement de la population d’un pays capitaliste en tant que peuple qui reconnaît le pouvoir politique comme sien. Il s’agit de l’unité abstraite qui tient ensemble de manière efficace les antagonismes d’intérêts et les dépendances de la société de classe, régie par l’Etat. L’unité du peuple, établie par le monopole de violence de l’Etat de droit, exige, tant sur le plan pratique qu'idéologique, l’assujettissement des besoins de tous, de fait incompatibles, sous une même autorité identique. Celle-ci organise et définit l’utilisation économiquement et politiquement productive du fondement humain du pouvoir en tant que destin collectif du peuple.

L’exclusion, courtoise ou hostile, de ceux qui n’appartiennent pas à ce peuple fait tout simplement partie de ce système politique. Nécessairement et inévitablement.

Le caractère impitoyable de cette exclusion, quand elle est remise en question par les réfugiés et, de plus, par une puissance étrangère « inférieure » comme la Turquie, peut être observé à la frontière grecque que l’Union européenne a élevée, grâce à sa grande-puissance collective, au rang d’une frontière extérieure de l’UE qu’il faut absolument défendre – comme si elle incarnait l’ensemble des frontières intérieures de l’Europe.

L’Union européenne et la Turquie ne manquent pas de s’accuser mutuellement d’être responsable du sordide chantage réciproque dans lequel la misère des réfugiés devient la monnaie d’échange. Le contenu impérialiste de cette confrontation est une autre histoire.

 


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