La course au vaccin contre le Covid-19
Le commerce et la violence – les moyens de l’État pour s’occuper de l’immunisation de l’humanité
L’humanité, prise au dépourvu par ce nouveau type d’épidémie, ne savait pas encore ce qui lui arrivait, quand, dans le monde capitaliste éclairé, les professionnels du métier s’étaient déjà mis au travail pour venir à son secours, conformément à leur devoir professionnel.
Les entreprises pharmaceutiques
Avant même que le nouvel agent pathogène viral ne se soit échappé de Wuhan, les entreprises pharmaceutiques avaient déjà compris que celui-ci présentait un grand risque de propagation pour le monde entier. Quelle chance ! La puissance de cet agent pathogène ne se limite pas aux régions pauvres et misérables du monde, où les entreprises doivent malheureusement constater trop souvent un décalage, propre à l’économie de marché, entre la demande pressante de médicaments et la solvabilité nécessaire pour transformer le besoin en une opportunité commerciale à leur avantage. Les peuples d’Europe et d’Amérique du Nord ont été infectés très rapidement et, dans certains cas, ont été sérieusement malades. À ce moment-là, les entreprises et leurs actionnaires avaient déjà mobilisé depuis bien longtemps des capitaux et des crédits à grande échelle et mis le savoir-faire de leurs effectifs au service du développement accéléré d’un vaccin contre le Covid.
Les principaux acteurs industriels sont rejoints par des start-ups internationales en biotechnologie, soucieuses avant tout de leur enrichissement mais aussi de celui de leurs investisseurs philanthropiques, en fournissant, le plus tôt possible, le vaccin, tant attendu, à tout le monde. Le produit à inventer doit être assez efficace, suffisamment bien toléré, adapté au transport et au stockage pour être considéré comme un produit « super-commercialisable ». Tout cela doit être déterminé et prouvé par des études cliniques coûteuses ; mais aucune dépense et aucun effort ne seront épargnés pour parvenir, en peu de temps, à un résultat satisfaisant qui généralement demande plusieurs années. De toute façon, la tentation d’une gigantesque affaire justifie tous les investissements et toutes les avancées nécessaires - même ceux et celles, faits dans des approches biotechnologiques, issues de la recherche fondamentale dont les résultats sont incertains et qui n’ont jusqu’à présent jamais abouti à un médicament fini. Les concurrents, par ailleurs peu amicaux les uns envers les autres en matière de propriété intellectuelle, annoncent fièrement des partenariats et des coopérations pour un progrès accéléré - au service de l’enrichissement privé, auquel ils s’attendent à tour de rôle. Après tout, ils peuvent compter sur rien de moins qu’une demande presque infinie de leurs médicaments, à laquelle aucun d’entre eux ne pourrait de toute façon répondre tout seul. Afin de pouvoir l’exploiter le plus rapidement possible et palper dans cette affaire, ils s’engagent dans la production immédiate de dizaines de millions de doses de vaccin par mois, tout en devançant leur éventuelle autorisation et bien avant que leur efficacité et leur innocuité ne soient établies.
La spéculation sur le développement en temps voulu du vaccin approprié, qui justifie économiquement tant d’investissements et de risques, vit d’une sécurité plutôt inhabituelle dans la concurrence des capitalistes. Le fait qu’ils disposent avec la présentation d’une valeur d’utilité biotechnique au bon moment d’une véritable planche à billets justifiant tous les investissements déjà réalisés et toute autre dépense sur un marché, pratiquement impossible à saturer, est ce que les entreprises doivent, à deux égards, aux Etats :
Premièrement, parce que le destinataire de leurs marchandises, ce n’est pas l’humanité malade avec son pouvoir d’achat privé qui est limité et ses habitudes de paiement labiles, mais ce sont les États et, en premier lieu, les plus riches. Ce sont eux leurs clients extrêmement solvables et prêts à payer, ceux qui leur garantissent contractuellement, même à l’avance, l’achat de millions de doses de leurs remèdes miracles. Avec leurs exigences, leur demande et leur grande capacité de paiement, ils créent le marché sur lequel les entreprises pharmaceutiques peuvent gagner pas mal d’argent de façon si fiable. Deuxièmement, avec leurs garanties d’achat de plusieurs milliards de dollars, leurs paiements anticipés, leurs participations directes aux entreprises et toutes sortes de subventions spéciales, les mêmes États mettent à disposition une part majeure du capital-risque nécessaire, employé par les entreprises dans toutes les phases coûteuses de développement, d’essais et de production du vaccin. Dans les deux cas, les États ont leurs propres raisons.
Les États capitalistes
ont rapidement compris la gravité de la situation sanitaire de leur peuple. Pour certains d’entre eux, ce qui est en jeu, ce n’est rien de moins que la survie de larges pans de leur population, incapables de survivre dans leur pauvreté endémique si, en raison des mesures de protection telles que les couvre-feux, ils n' arrivent pas à joindre les deux bouts ou si leurs emplois précaires sont complètement supprimés à cause de la situation de crise. Les nations de rang inférieur, qui n’ont ni de grands capitaux ni les organismes étatiques, experts dans les progrès biochimiques, ne peuvent qu’espérer que leurs collègues plus puissants de l’hémisphère nord prennent des initiatives dans ce sens, ce que ceux-ci font déjà. Pour ces derniers, ce qui est en jeu avec la santé publique de leur population, c’est, après tout, son utilité pour la croissance de la richesse capitaliste, pour laquelle la vie, la consommation et le travail sont organisés sur leurs territoires. Les restrictions à la vie sociale, y compris les (re)confinements, nécessaires jusqu’à présent, et cela à maintes reprises, pour protéger la santé publique, s’avèrent de plus en plus intolérables pour les autorités politiques responsables, car elles doivent se rendre compte à chaque fois combien les mesures prises sont en contradiction avec les libertés tant estimées dont sont dotés les habitants de leur pays. Ce qui est en jeu ici, ce n’est rien de moins que le mode de vie d’une société bourgeoise basée sur la concurrence – de la vie professionnelle, en passant par les techniques de gestion et d’adaptation aux adversités qui y sont associées, à la sphère de la compensation et de la jouissance privée, y compris la conscience des droits qui est propre aux individus bourgeois assoiffés de liberté. Tout cela est la normalité, un bien public sous la protection de la politique qui veut la rétablir. On ne peut pas y retourner sans un vaccin qui diminue l’évolution de la maladie et les taux d’infection au moins dans la mesure où le processus d’infection peut être à nouveau sous contrôle et rendrait, à un certain degré, l’ensemble de la population domestique résiliente aux risques d’infection qui existent dans les sociétés bourgeoises libérales. Quant à la normalité de la vie quotidienne capitaliste de la nation, il y a aussi beaucoup de choses qui sont en jeu à l’étranger. Dans le voisinage européen comme dans le reste du monde, la progression de la pandémie risque de causer l’effondrement de toutes sortes de marchés de vente où la nation exportatrice a encore de bonnes chances de gagner beaucoup d’argent à l’avenir…Cela est la seule raison pratique, propre aux États capitalistes, qui compte et pour laquelle "l’humanité" a besoin d’un vaccin, et cela dare-dare.
Le vaccin ne tarde pas à arriver pour le bien de l’humanité. Au moins pour une partie de celle-ci. Car il ne s’agit pas seulement de savoir quand il sera enfin inventé, mais aussi qui l’emportera dans « la course au vaccin ». Là où les entreprises pharmaceutiques essaient de développer le vaccin en faveur de leurs propres affaires, il y a partout des puissances étatiques derrière. Celles-ci protègent et financent les entreprises nationales à toute vitesse afin de s’assurer, avant tout à elles-mêmes, la disponibilité du vaccin pour la protection de leur population. Pour la même raison, elles essaient d’utiliser leur pouvoir et leur argent pour avoir accès aux résultats de la recherche de haut niveau des autres nations et de leurs entreprises. Il s’agit d’obtenir l’accès transfrontalier aux quotas de vaccin, promis pour l’immunisation la plus rapide possible de leur propre population, ainsi que le développement réussi d’un vaccin par leurs "propres" entreprises pharmaceutiques, ce que les nations, engagées dans ce domaine, réalisent grâce au pouvoir civil de leur monnaie qu’elles créent en vertu de leur souveraineté nationale. Dans ce champ exquis de la concurrence inter-étatique, les États sont finalement capables de faire autant que pèse leur pouvoir de crédit à l’échelle mondiale. En conséquence, ce qui est important ce ne sont pas seulement les profits, auxquels les entreprises choyées peuvent s’attendre, mais également les prétentions impérialistes que ces États, avec leur immense volonté et capacité de payer, lient aux succès qu’ils demandent.
D’une part, l’annonce d’un tel succès de la part des entreprises nationales, envoyées dans la course au vaccin, promet à celles-ci de formidables opportunités commerciales et à la nation, dans son ensemble, de bons bénéfices sur l’état de santé précaire de la population mondiale qu’on ne privera pas, bien sûr, du vaccin, une fois les propres besoins nationaux satisfaits. D’autre part, la disposition la plus souveraine et la plus nationale possible de l’instrument biotechnologique, tant demandé actuellement, pour le retour à la normalité dans la vie des nations, s’avère en outre être un outil considérable dans les questions de solidarité internationale. Ceux qui en disposent peuvent faire des offres d’aide à d’autres nations, qui peinent à les refuser lorsqu’elles ne sont pas en mesure de garantir la préservation de leurs ressources humaines nationales. Les millions de lots de médicaments exportables ouvrent aux nations aidantes la perspective de s’immiscer dans des communautés étrangères comme la condition d’existence extérieure de peuples étrangers et d’obtenir des possibilités élémentaires d’influence sur des souverains étrangers, c’est-à-dire le pouvoir d’assurer de « bonnes relations ». C’est le contenu impérialiste du secours en cas de catastrophe.
Cela est démontré notamment par le rejet jaloux des premières annonces de succès en provenance de la Russie et de la Chine, qui n’étaient nullement reconnues en Europe comme une contribution à la résolution du problème humain. On ne veut, en aucun cas, laisser ces concurrents « tirer profit politiquement » de la détresse des pays d’Afrique et d’ailleurs ! Le premier et le meilleur vaccin doit absolument être entre de bonnes mains, c’est-à-dire sous notre responsabilité ; et les stars de BioNTech à Mayence annoncent juste à temps que la mission est accomplie, à tel point que la « distribution équitable » du vaccin peut commencer bientôt. Pour cela aussi, une pandémie est donc une bonne chose : une opportunité pour l’Allemagne et pour d’autres pays, soucieux de leur réputation et de leur rang, de se présenter comme les seuls vrais secouristes à même d’aider la partie la plus fragile de l’humanité à sortir de la pandémie de Covid 19. La République fédérale d’Allemagne se porte candidate au poste de puissance mondiale amicale en matière de santé, entendant s’assurer ce rôle, dans la concurrence entre les États, aussi pour de futures pandémies. Ça tombe alors bien que l’autre centre de recherche national, CureVac, promette déjà pour l’avenir une boîte à outils biogénétiques qui pourrait fournir, dans les plus brefs délais, des substances actives, adaptées aux agents pathogènes, à peine apparus et ayant un potentiel épidémique ou même pandémique, bien avant que ceux-ci ne quittent les marchés de la faune sauvage ou les laboratoires pour se propager à travers le monde capitaliste interdépendant.
C’est sur cela que l’humanité peut bien compter, à juste titre : Le secours est proche ! Cela en vaut la peine.